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Politique au Burkina : Les femmes très peu représentées

Editorial / Opinion Piece / Blog Post

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June 5, 2017

Politique au Burkina : Les femmes très peu représentées

Ce papier est initialement apparu le 1 juin 2017 sur LeFaso.net. C’est une contribution de Dre Lydia Rouamba sur la représentativité des femmes dans les élections législatives de 2015 et municipales de 2016 au Burkina Faso.




Introduction

Au Burkina Faso, les dernières élections législatives de 2015 et municipales de 2016 se sont déroulées dans un contexte particulier de post insurrection que le pays a connu le 30 et le 31 octobre 2014 suivi d’une transition de douze mois. L’ordre politique qui prévalait depuis plus d’un quart de siècle (près de trois décennies) a été remis en cause et l’ancienne classe politique qui s’était arrogée des droits et accaparé nombre d’avantages a été fortement secouée.

Un premier constat est que si ce mouvement a permis à des personnes jusque-là inconnues du grand public d’accéder au pouvoir législatif ou municipal, il n’a pas favorisé une amélioration de la représentativité des femmes dans les instances électives. Malgré la loi de 2009 qui fixe un quota de 30% au profit de l’un et de l’autre sexe aux élections législatives et municipales, les femmes peinent à prendre une place conséquente dans la gestion du pays : 10,23% de députées et 2,53% de mairesses en 2016.

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Le but de cet article est de revenir sur quelques contraintes qui pèsent sur l’accès et l’engagement des femmes au métier politique au Burkina Faso. Il se veut un plaidoyer pour une égalité entre les hommes et les femmes dans le jeu politique.

L’analyse s’appuie sur une exploitation documentaire et des échanges formels et informels avec plusieurs catégories d’acteurs et d’actrices de la vie politique du Burkina Faso (responsables dans des ministères, candidates aux élections élues et non élues, responsables de partis politiques, responsables d’associations de femmes).

La représentativité des femmes en régression dans les dernières élections

Le premier fait qui saute à l’œil, à l’examen des résultats des dernières élections, est que le nombre de femmes a chuté dans les instances électives. En effet, après l’adoption de la Constitution par référendum en 1991 et l’organisation des élections en 1992, le nombre de députées a augmenté régulièrement jusqu’en 2014 avant de connaître une chute : 04 sur 107 (3,73%) pendant la législature 1992-1997 ; 09 sur 111 (8,10%) en 1997-2002 ; 13 sur 111 (11,71%) en 2002-2007 ; 17 sur 111 (15,3%) en 2007-2012 et 24 sur 127 (18,9%) en 2012-2014.

Avec ces résultats, l’on pourrait être tenté de dire que même, sans des quotas législatifs, la représentativité des femmes dans le parlement s’améliore avec le temps dans un régime démocratique. Mais, ce serait une conclusion hâtive. Cette augmentation est lente et incertaine. Elle est, en effet, le fruit de diverses actions de sensibilisations et de plaidoyers menées depuis 2000 par des Organisations Non Gouvernementales, des organisations de femmes ainsi que des femmes et hommes politiques à l’endroit des autorités et partis politiques ainsi que des autorités coutumières.

L’incertitude de l’augmentation de la représentation des femmes peut être constatée sous le Conseil National de la Transition et la septième législature (élections de 2015) où le pourcentage de femmes parlementaires est passé de 18,9 (par le jeu de suppléance) en 2012 à respectivement 13,33% (en 2014) et 10,23% (en 2015). Le taux de représentativité des femmes en 2015 est passé en dessous de celui qu’on avait en 2002 (11,71%) soit un recul de plusieurs points.

Ce recul enregistré au niveau de la représentativité des femmes met en lumière le fait que les droits des femmes sont précaires, que ceux-ci ne sont pas acquis une fois pour toutes. En effet, après l’insurrection populaire et avant la mise en place de la septième législature, le pays était dans une situation exceptionnelle où les structures d’encadrement des femmes et de veille pour le respect de leurs droits étaient inopérantes, en berne et c’est ce qui explique en partie ces résultats. Il faut donc constamment lutter pour conserver les acquis.

Plusieurs autres facteurs explicatifs

Le faible accès des femmes aux instances électives s’explique par plusieurs contraintes conjuguées.

Une première contrainte est liée aux pratiques politiques. L’on note un manque de volonté pour l’application de dispositions juridiques sensibles à la dimension du genre. Par exemple, l’article 154 stipule, en son alinéa 5, que « sous peine de nullité, les listes de candidatures doivent comporter au moins un candidat de l’un ou l’autre sexe » (CENI, 2015 : 62). Or, l’examen des listes de candidatures permet de voir que ni les partis et formations politiques, ni la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) n’ont tenu compte de cette disposition juridique lors des élections législatives de 2015 et municipales de 2016. En outre, peu de femmes sont placées en position éligible. Pour les 127 parlementaires, 92,78% des hommes étaient premiers titulaires contre seulement 7% des femmes.

Plusieurs femmes sont également éconduites au profit des hommes. C’est ainsi que Saran Sere/Sereme, candidate à l’élection présidentielle de 2015 avait dû démissionner du parti au pouvoir (le CDP) pour protester contre son positionnement sur les listes des personnes candidates aux élections législatives de 2012.
Ces comportements machistes que des femmes subissent de la part de leurs homologues masculins sont, en partie, liés à une deuxième catégorie de contraintes : les barrières socio-culturelles, notamment la loi sociale fondamentale de préséance des hommes sur les femmes. Et à ce niveau des contraintes socio culturelles, le front privé reste le front plus redoutable.

C’est l’une des principales conclusions de ma thèse sur « La participation des femmes à la vie politique au Burkina (1957-2009) » soutenue en 2011. Il existe une relation positive forte entre le soutien du mari ou sa non opposition et l’engagement ainsi que la longévité politique des femmes. Aucune femme n’accepte aller en politique contre l’avis de son époux. Les candidates élues et non élues que nous avons rencontrées en 2015 et 2016 ont encore confirmé ce fait. Quand les femmes ont le soutien de leur partenaire et de leurs familles en général, elles sont plus confiantes et fortes pour affronter les différentes contraintes qu’elles rencontrent, notamment l’insuffisance de ressources financières ainsi que le manque ou insuffisance de formation politique. Elles ont plus de répartie face à l’adversité.

Les faibles résultats des femmes mettent aussi en exergue le fait que la compétition politique est de plus en plus âpre dans notre pays. Plus que, de par le passé, les élections législatives tout comme municipales sont le lieu de gros enjeux, tant politiques qu’économiques. La preuve est que les élections, surtout celles communales de 2016 ont été marquées par de fortes violences préélectorales et postélectorales ayant occasionné des morts et des blessés. Six communes n’ont pas pu mettre en place leurs conseils municipaux en raison de ces violences politiques (AIB, 2017). Ce qui a amené la reprise des élections en mai 2017 dans ces communes.

Conclusion

Malgré un dispositif juridique qui favorise l’équité entre les hommes et les femmes, les femmes peinent, au Burkina Faso, à briguer des postes électifs. Les élections sont le lieu de plusieurs enjeux et la compétition électorale devient de plus en plus âpre. Les résultats obtenus après plusieurs années de lutte s’effritent si la lutte que mènent les femmes n’est pas permanente.

Ainsi, seule une réelle volonté politique qui permet de conjuguer plusieurs efforts (relecture des textes, mise en place d’un fonds de soutien aux femmes politiques, sensibilisation de la population, témoignages de modèles de réussite, etc.) permettra d’améliorer de manière significative la participation politique des femmes au Burkina Faso.

Par Dre Lydia ROUAMBA

palingwinde@hotmail.com

Pour en savoir plus

ASSEMBLE NATIONALE.https://www.assembleenationale.bf/Anciennes-legislatures

AGENCE D’INFORMATION DU BURKINA. 2017. Burkina : reprise prochaine des élections locales dans 19 localités http://www.aib.bf/m-8311-burkina-reprise-prochaine-des-elections-locales-dans-19-localites.html

COMMISSION ELECTORALE NATIONALE INDEPENDANTE (2015). Code électoral et textes d’application.http://www.ceni.bf/sites/default/files/Code_électoral_BF-Version_21.05.2015.pdf

ROUAMBA Palingwindé Inès. Zoé. Lydia. 2011. La participation des femmes à la vie politique au Burkina (1957-2009). Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, Montréal.

Source: LeFaso.net

Région

Ce papier est initialement apparu le 1 juin 2017 sur LeFaso.net. C’est une contribution de Dre Lydia Rouamba sur la représentativité des femmes dans les élections législatives de 2015 et municipales de 2016 au Burkina Faso.




Introduction

Au Burkina Faso, les dernières élections législatives de 2015 et municipales de 2016 se sont déroulées dans un contexte particulier de post insurrection que le pays a connu le 30 et le 31 octobre 2014 suivi d’une transition de douze mois. L’ordre politique qui prévalait depuis plus d’un quart de siècle (près de trois décennies) a été remis en cause et l’ancienne classe politique qui s’était arrogée des droits et accaparé nombre d’avantages a été fortement secouée.

Un premier constat est que si ce mouvement a permis à des personnes jusque-là inconnues du grand public d’accéder au pouvoir législatif ou municipal, il n’a pas favorisé une amélioration de la représentativité des femmes dans les instances électives. Malgré la loi de 2009 qui fixe un quota de 30% au profit de l’un et de l’autre sexe aux élections législatives et municipales, les femmes peinent à prendre une place conséquente dans la gestion du pays : 10,23% de députées et 2,53% de mairesses en 2016.

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Le but de cet article est de revenir sur quelques contraintes qui pèsent sur l’accès et l’engagement des femmes au métier politique au Burkina Faso. Il se veut un plaidoyer pour une égalité entre les hommes et les femmes dans le jeu politique.

L’analyse s’appuie sur une exploitation documentaire et des échanges formels et informels avec plusieurs catégories d’acteurs et d’actrices de la vie politique du Burkina Faso (responsables dans des ministères, candidates aux élections élues et non élues, responsables de partis politiques, responsables d’associations de femmes).

La représentativité des femmes en régression dans les dernières élections

Le premier fait qui saute à l’œil, à l’examen des résultats des dernières élections, est que le nombre de femmes a chuté dans les instances électives. En effet, après l’adoption de la Constitution par référendum en 1991 et l’organisation des élections en 1992, le nombre de députées a augmenté régulièrement jusqu’en 2014 avant de connaître une chute : 04 sur 107 (3,73%) pendant la législature 1992-1997 ; 09 sur 111 (8,10%) en 1997-2002 ; 13 sur 111 (11,71%) en 2002-2007 ; 17 sur 111 (15,3%) en 2007-2012 et 24 sur 127 (18,9%) en 2012-2014.

Avec ces résultats, l’on pourrait être tenté de dire que même, sans des quotas législatifs, la représentativité des femmes dans le parlement s’améliore avec le temps dans un régime démocratique. Mais, ce serait une conclusion hâtive. Cette augmentation est lente et incertaine. Elle est, en effet, le fruit de diverses actions de sensibilisations et de plaidoyers menées depuis 2000 par des Organisations Non Gouvernementales, des organisations de femmes ainsi que des femmes et hommes politiques à l’endroit des autorités et partis politiques ainsi que des autorités coutumières.

L’incertitude de l’augmentation de la représentation des femmes peut être constatée sous le Conseil National de la Transition et la septième législature (élections de 2015) où le pourcentage de femmes parlementaires est passé de 18,9 (par le jeu de suppléance) en 2012 à respectivement 13,33% (en 2014) et 10,23% (en 2015). Le taux de représentativité des femmes en 2015 est passé en dessous de celui qu’on avait en 2002 (11,71%) soit un recul de plusieurs points.

Ce recul enregistré au niveau de la représentativité des femmes met en lumière le fait que les droits des femmes sont précaires, que ceux-ci ne sont pas acquis une fois pour toutes. En effet, après l’insurrection populaire et avant la mise en place de la septième législature, le pays était dans une situation exceptionnelle où les structures d’encadrement des femmes et de veille pour le respect de leurs droits étaient inopérantes, en berne et c’est ce qui explique en partie ces résultats. Il faut donc constamment lutter pour conserver les acquis.

Plusieurs autres facteurs explicatifs

Le faible accès des femmes aux instances électives s’explique par plusieurs contraintes conjuguées.

Une première contrainte est liée aux pratiques politiques. L’on note un manque de volonté pour l’application de dispositions juridiques sensibles à la dimension du genre. Par exemple, l’article 154 stipule, en son alinéa 5, que « sous peine de nullité, les listes de candidatures doivent comporter au moins un candidat de l’un ou l’autre sexe » (CENI, 2015 : 62). Or, l’examen des listes de candidatures permet de voir que ni les partis et formations politiques, ni la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) n’ont tenu compte de cette disposition juridique lors des élections législatives de 2015 et municipales de 2016. En outre, peu de femmes sont placées en position éligible. Pour les 127 parlementaires, 92,78% des hommes étaient premiers titulaires contre seulement 7% des femmes.

Plusieurs femmes sont également éconduites au profit des hommes. C’est ainsi que Saran Sere/Sereme, candidate à l’élection présidentielle de 2015 avait dû démissionner du parti au pouvoir (le CDP) pour protester contre son positionnement sur les listes des personnes candidates aux élections législatives de 2012.
Ces comportements machistes que des femmes subissent de la part de leurs homologues masculins sont, en partie, liés à une deuxième catégorie de contraintes : les barrières socio-culturelles, notamment la loi sociale fondamentale de préséance des hommes sur les femmes. Et à ce niveau des contraintes socio culturelles, le front privé reste le front plus redoutable.

C’est l’une des principales conclusions de ma thèse sur « La participation des femmes à la vie politique au Burkina (1957-2009) » soutenue en 2011. Il existe une relation positive forte entre le soutien du mari ou sa non opposition et l’engagement ainsi que la longévité politique des femmes. Aucune femme n’accepte aller en politique contre l’avis de son époux. Les candidates élues et non élues que nous avons rencontrées en 2015 et 2016 ont encore confirmé ce fait. Quand les femmes ont le soutien de leur partenaire et de leurs familles en général, elles sont plus confiantes et fortes pour affronter les différentes contraintes qu’elles rencontrent, notamment l’insuffisance de ressources financières ainsi que le manque ou insuffisance de formation politique. Elles ont plus de répartie face à l’adversité.

Les faibles résultats des femmes mettent aussi en exergue le fait que la compétition politique est de plus en plus âpre dans notre pays. Plus que, de par le passé, les élections législatives tout comme municipales sont le lieu de gros enjeux, tant politiques qu’économiques. La preuve est que les élections, surtout celles communales de 2016 ont été marquées par de fortes violences préélectorales et postélectorales ayant occasionné des morts et des blessés. Six communes n’ont pas pu mettre en place leurs conseils municipaux en raison de ces violences politiques (AIB, 2017). Ce qui a amené la reprise des élections en mai 2017 dans ces communes.

Conclusion

Malgré un dispositif juridique qui favorise l’équité entre les hommes et les femmes, les femmes peinent, au Burkina Faso, à briguer des postes électifs. Les élections sont le lieu de plusieurs enjeux et la compétition électorale devient de plus en plus âpre. Les résultats obtenus après plusieurs années de lutte s’effritent si la lutte que mènent les femmes n’est pas permanente.

Ainsi, seule une réelle volonté politique qui permet de conjuguer plusieurs efforts (relecture des textes, mise en place d’un fonds de soutien aux femmes politiques, sensibilisation de la population, témoignages de modèles de réussite, etc.) permettra d’améliorer de manière significative la participation politique des femmes au Burkina Faso.

Par Dre Lydia ROUAMBA

palingwinde@hotmail.com

Pour en savoir plus

ASSEMBLE NATIONALE.https://www.assembleenationale.bf/Anciennes-legislatures

AGENCE D’INFORMATION DU BURKINA. 2017. Burkina : reprise prochaine des élections locales dans 19 localités http://www.aib.bf/m-8311-burkina-reprise-prochaine-des-elections-locales-dans-19-localites.html

COMMISSION ELECTORALE NATIONALE INDEPENDANTE (2015). Code électoral et textes d’application.http://www.ceni.bf/sites/default/files/Code_électoral_BF-Version_21.05.2015.pdf

ROUAMBA Palingwindé Inès. Zoé. Lydia. 2011. La participation des femmes à la vie politique au Burkina (1957-2009). Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, Montréal.

Source: LeFaso.net

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