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Erika Brockmann

Entretiens

Soumis par iKNOW Politics le
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September 26, 2012

Erika Brockmann

Ancienne membre du parlement bolivien (1997-2005), spécialiste de la démocratie et des questions sur le genre
Nom
Erika Brockmann

iKNOW Politics : J'aimerais commencer par vous demander de nous parler de votre carrière politique. Quand a-t-elle débuté et qu'est-ce qui vous a incitée à vous lancer ? Quelles ont été les opportunités et les difficultés que vous avez rencontrées sur votre parcours de femme politique?

Dès le lycée et mon premier diplôme de psychologie, j'ai eu l'occasion d'assumer des responsabilités telles que déléguée de classe et représentante des étudiants. J'ai également participé à la série de conférences préparatoires de l'Année internationale de la femme, ainsi qu'à d'autres activités en lien avec la représentation publique et les arts plastiques.

Toutefois, ce sont les limites auxquelles se heurtent les femmes qui vivent, comme à Cochabamba, dans une société majoritairement conservatrice et machiste qui m'ont incitée à chercher des réponses expliquant la discrimination, parfois ténue, parfois grossière, que je subissais dans ma vie personnelle. Telle était ma réalité, en dépit du fait que j'ai grandi dans une famille plutôt libérale, chapeautée par ma grand-mère maternelle, une femme d'affaires visionnaire au fort charisme. C'est ainsi que tout a commencé.

J'ai bien sûr donné sens à ce premier questionnement en puisant dans les écrits de Simone de Beauvoir et dans le poème intitulé : "Nacer Hombre" (Naître homme) d'Adela Zamudio, ainsi que dans la reconnaissance des droits civils et politiques des femmes.

En outre, en tant qu'étudiante d'échange au Canada, j'ai été exposée à la deuxième vague de féminisme et aux mouvements politiques ayant marqué ma génération à l'époque. Telles sont les graines qui m'ont ensuite incitée à me joindre aux mouvements et aux actions collectives de libération de la femme. Il était particulièrement difficile, à l'époque, d'échapper à l'influence d'une génération extrêmement politisée, vivant dans le contexte de la Guerre froide, d'un débat idéologique inspiré par les mouvements de jeunes libertaires et anticolonialistes, ainsi qu'à la théologie de la libération, qui frappait à la porte de l'Eglise catholique.

J'ai commencé l'université sous la dictature et, dès les tous débuts, j'ai compté au nombre de celles qui ont pris la tête d'un mouvement destiné à rendre son autonomie à l'université en contestant l'autorité des militaires. C'est là que j'ai noué mes premiers contacts politiques sous le manteau.

En tant qu'étudiante en psychologie, je travaillais dans un centre qui recevait des enfants et des adolescents "différents" (comme on dit aujourd'hui), non seulement pour des raisons génétiques, mais surtout à cause de traumatismes neurologiques intervenus avant ou après la naissance du fait de la misère et de l'accès défaillant aux services de santé maternelle et infantile. La tragédie de ces familles m'a profondément touchée.

C'est alors que j'ai pris conscience du caractère fragmentaire de l'action des bénévoles et compris l'importance des politiques publiques en tant qu'élément fondamental de la théorie et de l'action politiques. La politique est le moyen permettant d'agir et d'influer sur les problèmes socioéconomiques qui sont à l'origine des troubles sociaux qui accompagnent la misère et les inégalités qui continuent à sévir dans nos pays.

A l'époque, j'ai pris la décision de rejoindre le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), le parti proche de la social-démocratie, au sein duquel le Front des femmes a commencé à lancer une réflexion politique et idéologique qui a mis la participation politique des femmes à l'ordre du jour à l'intérieur et à l'extérieur du parti. Cette dynamique de réflexion et d'analyse de la condition de la femme vue sous un nouvel angle s'est développée en parallèle de la lutte pour rétablir la démocratie.

J'estime appartenir à la génération ayant rendue possible la reconquête de la démocratie, qui fêtera bientôt 30 années de règne ininterrompu. Cette démocratie, avec ses moments fastes et moins fastes, explique d'une part l'écroulement du système des partis (y compris le mien) et, de l'autre, les progrès enregistrés au cours de cette nouvelle ère de réformes publiques ayant contribué à l'inclusion politique de secteurs auparavant marginalisés.

Pour ce qui est des obstacles, je ne souhaite pas m'étendre sur les facteurs couramment invoqués dans les réponses à ce type de question. Je me contenterai d'en évoquer quelques-uns. Il s'agit notamment du conflit avec le rôle traditionnellement dévolu aux femmes et les attentes qu'il suscite, des dilemmes existentiels, de la peur du "succès" et des ouvertures qui m'auraient permis d'accéder à un nouvel horizon, souhaité et craint à la fois.

L'arrivée des femmes sur la scène politique a par ailleurs coïncidé avec le discrédit généralisé dont a souffert l'activité politique, tant dans la vie pratique que comme carrière professionnelle, ce qui a constitué une limite supplémentaire. Cette remise en cause, fruit du communautarisme et du collectivisme participatif, est l'impulsion qui a fini par cimenter la démocratie représentative.

La nature patriarcale et la logique "machiste" régnant dans la course à des postes politiques informels et peu institutionnalisés, insérés dans une culture politique profondément marquée par l'autoritarisme et le manichéisme des mentalités, que les hommes tentent de décrocher par le biais du caudillismo et du renvoi d'ascenseur à grande échelle, constituent autant de facteurs limitant l'expression de potentiels politiques différents. Les limites financières qui prévalent lors des élections internes et des campagnes électorales placent les femmes dans une position particulièrement délicate.

Nous devons cependant avoir conscience du fait que les erreurs et les hésitations se paient au prix fort et que l'exigence d'une "fidélité" absolue a des retombées bien précises sur les femmes impliquées dans la vie politique. Dans un contexte de polarisation politique, les femmes sont sommées de donner la preuve de leur fidélité en jouant des rôles "disciplinaires" parfois autoritaires et peu propices à la réflexion ni à la transformation.

Je résumerai les opportunités dans la réponse à la question suivante.

iKNOW Politics : Ces dernières années, les changements positifs qui se sont instaurés en Bolivie en matière d'égalité des sexes ont créé d'importants précédents à l'échelon international. Pourriez-vous nous dire quels ont été les facteurs qui ont le plus contribué à rendre ces changements possibles, tout particulièrement en ce qui concerne la participation politique des femmes?

En Bolivie et dans la région, la situation a évolué entre 1970 et le milieu des années 90, ce qui a rendu possibles les transformations et la défense de la cause des femmes. L'intégration, dans la nouvelle constitution et la législation fondamentale qui en a résulté, de dispositions en faveur des femmes en constitue l'expression la plus poussée.

Ces réalisations, qui se sont concrétisées sur la toile de fond du progrès démocratique, sont le fruit de la pression appliquée par des forces qui ont servi de catalyseur dans différents domaines. Je pense, d'une part, aux milieux universitaires, dont l'apport s'est situé au niveau de la réflexion théorique sur des thèmes féministes, ainsi qu'aux pressions que n'a cessé d'exercer la communauté internationale pour que les institutions non-gouvernementales du monde entier, puis les gouvernements, cèdent à un certain nombre de revendications.

Ces forces de progrès ont été le fruit du militantisme des femmes elles-mêmes qui (sous différents angles tactiques et stratégiques) ont réussi à élaborer et faire évoluer un programme de réformes qui a mûri et s'est transformé au fil de ces 15 dernières années. Progressivement, cet accord initial s'est fortifié et étendu grâce à l'émergence, à la prise de responsabilités et à l'engagement de dirigeantes d'organisations sociales populaires et d'organismes campesinos autochtones, qui ont joué un rôle actif dans les réformes politiques et économiques en cours.

iKNOW Politics : La notion de parité en politique reste marginale en Amérique latine. Vous avez beaucoup étudié cette question. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la parité est si importante et quelles sont les principales différences entre la parité et les autres mesures de discrimination positive telles que les quotas?

L'expérience de la Bolivie est surprenante car la législation électorale a enregistré des avancées remarquables entre 1997 et 2010, période au cours de laquelle (comme je l'expliquerai dans ma réponse à la question suivante) le principe de la parité lors de l'élection de représentants élus ne s'est pas seulement fermement enraciné, mais aussi étendu à d'autres pans de l'activité politique.

Honorer l'importance du principe de la parité et de l'équilibre exige de reconnaître l'injustice historique au nom de laquelle les femmes ont été exclues du processus constitutionnel de l'Etat bolivien et marginalisées, ainsi que d'y remédier. Les femmes, qui ont répondu présent et participé aux luttes d'indépendance et aux autres moments clés tels que la Révolution nationale et la conquête de la démocratie, ont été les grandes absentes du processus de réorganisation et de reconquête de légitimité de l'Etat bolivien. Cette exclusion des femmes lors de la formation des états moderne, en place depuis la Révolution française, trahit les principes de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, ainsi que l'universalité des droits civiques qui ont fait leur apparition à la fin du 19e siècle.

Curieusement, la reconnaissance et l'adoption de ce principe fondamental en ont fait une valeur collective de la société bolivienne. La stratégie mise en œuvre pour légitimer la parité a détourné les arguments de ceux qui s'opposaient à l'instauration de quotas minimum en arguant du fait qu'il était injuste d'appliquer des quotas minimum de 30% de femmes alors que ces dernières représentent 50% de la population.

Sur le plan théorique, la portée et les conséquences pratiques qu'entraîne la parité du point de vue de l'organisation et de la redistribution du pouvoir public interdisent de reléguer cette dernière au rang de politique de discrimination positive reposant sur des quotas minimum de participation. Ces quotas ne constituent que des mesures provisoires visant à redresser certains déséquilibres ou certaines inégalités des chances dans l'exercice de divers droits garantis par la loi.

La parité est toutefois conçue comme un principe indispensable pour garantir le plein exercice des droits politiques, entre autres, reconnus par la constitution et la législation. Du point de vue de la procédure électorale, les quotas se heurtent à des limites contraignantes sur le plan opérationnel, qui rendent difficile l'obtention des résultats escomptés. Ce sont les modes de scrutin directs et à la proportionnelle mixte qui posent le plus de difficultés. Dans le cas de la Bolivie, la réforme électorale mise en œuvre simultanément à l'application de quotas minimum en a appauvri les effets en instaurant l'élection au scrutin direct pour plus de la moitié des représentants du pouvoir législatif et en privilégiant ce mode de scrutin.

Entre 1997 et 2002, l'évaluation des fruits portés par les quotas minimum nous a convaincues que, si nous voulions accélérer la participation concrète des femmes, nous devions viser la parité et l'alternance. La première loi instaurant la parité, qui a ouvert le système de représentation aux organisations politiques autres que les partis, a été adoptée après la réforme constitutionnelle de février 2004 (simultanément à l'adoption de la loi sur les groupements de citoyens et les populations autochtones).

La parité est une réalisation que le mouvement des femmes s'est de tout temps fixé comme objectif d'intégrer dans son programme de réformes politiques et électorales. Toutefois, même dans le cadre de la parité, il est difficile de garantir que le résultat des urnes permettra à 50% de femmes d'occuper les sièges de titulaires. Le calcul des cinquante pour cent tient compte des sièges de suppléants et de remplaçants, postes officiellement reconnus par la législation bolivienne et auxquels les femmes ont plus facilement accès dans le cadre du mode de scrutin uninominal direct.

iKNOW Politics : Restons sur le sujet de la parité. La Bolivie est l'un des rares pays en ayant fait une obligation légale. Dans quelle mesure la parité est-elle garantie par la loi et quelles sont les sanctions prévues par la législation en cas d'atteinte à ce principe?

Depuis l'Assemblée constituante de 2006, le principe de la parité a gagné du terrain et acquis une légitimité sociale et politique croissante. De ce fait, le nouveau texte de la constitution et les lois organiques adoptées jettent les bases de l'Etat plurinational et des autonomies, qui doivent également respecter le principe de la parité dans leurs quatre pouvoirs et à leurs divers échelons sous-nationaux.

Voici un historique de l'application de ce principe et de sa portée :

2006 : Loi spéciale n° 3364, en date du 6 mars 2006, convoquant l'Assemblée constituante. Elle précisait que la désignation des représentants siégeant à l'Assemblée constituante devait respecter le principe de l'alternance tant sur les listes (ouvertes) uninominales que les listes (fermées) plurinominales.

2009 : Approbation de la Constitution nationale par le référendum constitutionnel de ratification en date du 7 février 2009. Le chapitre traitant des droits politiques prévoit que : "Tous les citoyens, hommes ou femmes, ont le droit de participer librement à la formation, à l'exercice et à la supervision du pouvoir politique, individuellement ou collectivement, que ce soit directement ou par le biais de leurs représentants." La participation des hommes et des femmes doit être égale ou se dérouler dans des conditions d'égalité. En ce qui concerne l'élection des représentants de l'organe législatif, la Constitution déclare que "la participation égale des hommes et des femmes doit être garantie".

2009 : Loi électorale provisoire n° 4021 en date du 14 avril 2009. Elle précise que la participation des citoyens doit être équitable et se dérouler dans des conditions assurant l'égalité entre hommes et femmes. A l'article 9, elle établit que : "les listes de candidats aux postes de sénateur, député et suppléant, membre d'une assemblée régionale, conseiller régional, conseiller municipal et responsable municipal doivent être attribués dans le respect du principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes, qui veut que toute candidature masculine à un poste de titulaire soit suivie par une candidature féminine à un poste de titulaire et tout candidature masculine à un poste de suppléant suivi par une candidature féminine à un poste de suppléant, ou vice versa. Pour les fonctions n'exigeant qu'un seul élu, le principe de l'alternance sera appliqué aux postes de titulaire et suppléant à l'intérieur de chaque circonscription."

2009 : Conformément à la Constitution, la parité s'applique depuis janvier 2010 au cabinet ministériel, le président étant chargé de désigner les ministres.”

2010 : Les lois qui structurent la fonction judiciaire et électorale fixent le principe de la parité en nombre. Le principe de la parité et de l'égalité des chances entre hommes et femmes dans l'exercice de leurs droits individuels et collectifs prévaut.

La loi électorale fait explicitement référence à la politique électorale en faveur de la parité et de l'alternance, dans les termes suivants : "Elle consiste en l'application obligatoire, par le biais de normes et de procédures, de la parité et de l'alternance à l'élection et à la désignation de toutes les autorités et représentants gouvernementaux ; aux élections et aux listes de candidats internes aux partis ; à l'élection, la désignation et la nomination des autorités, candidats et représentants des peuples et nations autochtones.

Le chapitre de la loi sur le système judiciaire qui porte sur les candidatures et la présélection des candidats à des postes dans les plus hautes instances judiciaires affirme : "L'Assemblée législative plurinationale présélectionnera les candidats par un vote à la majorité des deux tiers des membres présents, à hauteur de cinquante-quatre personnes jugées compétentes par circonscription pour la Cour suprême de justice et de vingt-huit pour la Cour chargée des questions agricoles et d'environnement. Dans les deux cas, la moitié des candidats présélectionnés devront être des femmes et la liste des personnes retenues doit être soumise aux instances électorales plurinationales. Dans les deux cas, la pluriculturalité et la parité seront respectées."

Dans toutes les désignations de membres et de juges, la parité et la pluralité seront garanties.

La loi-cadre sur les autonomies et la décentralisation définit le cadre juridique dans lequel se placent les gouvernements régionaux des autonomies. Comme l'exige la politique en faveur de la parité, elle demande à ce que les règles appliquées à l'échelle régionale et les lois organiques des autonomies municipales respectent les principes constitutionnels et à ce que le système électoral facilite l'application du principe de la parité.

Les modes de scrutin adoptés à l'échelle régionale sont en général des scrutins uninominaux directs, ce qui fait diminuer les chances des femmes d'accéder aux sièges de titulaire.

Voici des chiffres qui décrivent la situation de la Bolivie en matière de parité :

A l'Assemblée législative : les femmes détiennent 23% des sièges de titulaire à la Chambre des députés, et 44% au Sénat. Dans les assemblées départementales, les femmes détiennent 28% des sièges de titulaire. Ces deux chambres législatives sont à l'heure actuelle présidées par une femme.

Dans les instances électorales : le principe de la parité prévu par la loi est respecté. La présidence de la cour électorale nationale et des neufs cours régionales est majoritairement détenue par des femmes juges électoraux.

Dans les instances judiciaires : le principe de la parité a été respecté. Au Conseil des magistrats, deux des cinq titulaires sont des femmes. A la Cour chargée des questions agricoles et d'environnement, trois des sept magistrats sont des femmes. A la Cour constitutionnelle, quatre des sept magistrats en poste sont des femmes. A la Cour suprême de justice, trois des neuf magistrats sont des femmes et la parité est respectée pour les suppléants aux mêmes postes.

A l'exécutif : Depuis 2010, les femmes ont réussi à certaines occasions à occuper 50% des postes de ministre. Ce pourcentage a récemment fléchi, mais les femmes tiennent notamment le ministère de la communication, celui de la justice, de la planification, de la production, des autonomies, de la transparence et de l'agriculture, qui sont des portefeuilles ministériels importants.

iKNOW Politics : En mai 2012, la loi bolivienne sur le harcèlement et la violence à l'encontre des femmes en politique a enfin été adoptée. Quels sont les aspects les plus importants et les plus positifs de cette loi? Quelles difficultés sa mise en œuvre pose-t-elle?

La loi n° 243 contre le harcèlement et la violence politiques caractérise les délits que constituent les actes de harcèlement et de violence politiques à l'encontre des femmes et les sanctionne. Sont notamment concernés les délits suivants:

  • fournir à des femmes candidates ou titulaires des informations trompeuses ou imprécises entravant l'exercice de leurs fonctions ;
  • invoquer des stéréotypes sexistes pour imposer des tâches sans rapport avec la fonction ;
  • empêcher les femmes élues ou désignées à un poste de titulaire ou suppléant d'assister à des réunions au cours desquelles des décisions importantes seront prises ;
  • divulguer des informations personnelles et privées concernant des femmes candidates, élues ou désignées, dans le but de nuire à leur réputation et de les contraindre à démissionner;
  • faire pression sur des femmes occupant des responsabilités publiques pour qu'elles démissionnent ou les y inciter, ou les contraindre par la force ou par des intimidations à signer des documents et/ou soutenir des décisions allant à l'encontre de leur volonté ou intérêt politique ; exercer à leur encontre une discrimination pour des raisons telles que la grossesse, la langue, la façon de s'habiller, le degré d'instruction ou l'apparence.

La loi contre le harcèlement et la violence politiques prévoit un mécanisme visant à prendre en charge et traiter de telles affaires. Ce mécanisme peut être de nature administrative ou pénale selon la gravité du délit.

  • La procédure administrative prévoit, pour les délits mineurs, graves ou très graves, des sanctions qui vont d'une réprimande à des diminutions de salaire, voire la suspension temporaire des fonctions sans traitement pendant une période pouvant aller jusqu'à 30 jours.
  • A l'échelon pénal, les sanctions prévoient notamment une peine de deux à cinq années de prison dans les cas de harcèlement et de trois à huit ans dans les cas de violence politique (agression physique et psychologique).

De surcroît, cette loi rend les institutions publiques et les organisations politiques et sociales responsables de prévenir et de sanctionner le harcèlement et la violence politiques à l'encontre des femmes répertoriés par la loi.

Nous devrons tenir compte à l'avenir des nombreux enseignements que nous avons tirés de nos 11 années d'expérience de l'application de cette loi, marquées par des avancées et des revers. Nos efforts pour faire avancer la cause politique des femmes se sont en premier lieu heurtés à l'immobilisme que créent la polarisation politique et les prises de position personnelles. Nous avons également tiré des leçons des consultations interminables qui étirent en longueur la procédure législative et l'adoption des lois et gaspillent l'énergie que nous aurions pu consacrer à faire accepter la loi et à faire pression pour consolider sa mise en œuvre. C'est la raison pour laquelle nous devons revoir nos stratégies de plaidoyer, en mettant l'accent sur la qualité insuffisante des liens existant entre l'administration publique et le groupe d'institutions lui servant de relai, notamment le pouvoir judiciaire.

iKNOW Politics : La qualité des alliances et des réseaux revêt une grande importance en politique. iKNOW Politics est à la fois un réseau et une ressource pour d'autres réseaux. Quel rôle ces alliances et ces réseaux ont-ils joué dans votre parcours?

Les coalitions ou les alliances ont été, sont et seront un facteur fondamental pour mettre en œuvre une stratégie de plaidoyer efficace. Dans un premier temps, un groupe de femmes a commencé à collaborer avec des responsables politiques de différents horizons, parmi lesquels des parlementaires, des membres de partis politiques et des représentants d'organisations non-gouvernementales (ONG). Cette collaboration s'est instaurée au sein du Forum politique des femmes, grâce au soutien et à la vision des femmes qui se trouvaient à l'époque à la tête du Secrétariat adjoint aux questions de parité à l'échelle nationale et régionale.

Ce réseau a élaboré un plan d'action législatif minimum concerté, qui avait vocation à mettre à l’ordre du jour les réformes juridiques et politiques qui n'étaient pas initialement envisagées ni considérées comme une priorité par le groupe de dirigeants politiques et de fonctionnaires masculins au pouvoir. Ce mouvement, qui a pris de l'ampleur à l'échelle nationale, a gagné en cohésion et en vigueur avant, pendant et après le processus de réformes constitutionnelles ayant mis un terme au cercle vertueux de cette collaboration, dont je considère qu'elle a porté de beaux fruits, même difficiles. Il faudrait faire revivre ce partenariat pour faire face aux nouvelles difficultés qui sont apparues dans la législation.

De ma perspective, et au vu de l'expérience bolivienne, je peux dire que ces alliances et ces réseaux sont indispensables à la réussite des stratégies.

L'importance de l'action collective et l'expérience de la Bolivie m'ont amenée à considérer certains critères comme indispensables à la réussite de ces plans d'action concertés pour les alliances et les réseaux qui les formulent et j'aimerais les résumer ci-dessous.

  • Les coalitions et les alliances ne durent pas toutes longtemps, elles s'épuisent et le cycle se termine. Elles doivent se renouveler en relevant de nouveaux défis.
  • Le pluralisme et le sentiment de fierté collective entourant les accords et les réalisations sont importants. Ils permettent d'éviter la focalisation de l'attention sur une personne et l'appropriation par certaines personnes ou groupes, ce qui empoisonne les relations politiques à l'intérieur des coalitions et réseaux concernés.
  • La cause féminine a été servie par un groupe de dirigeantes convaincues, qui s'est chargé de planifier les négociations, de préparer l'argumentation technique et politique des propositions, de les présenter à la société, ainsi que de concevoir des actions collectives créatives et régulières au cours des différents stades de la procédure.
  • Cette action est à mettre sur le compte d'un groupe minoritaire composée de femmes d'horizons divers. Le rôle joué par les femmes parlementaires et les électrices a été fondamental, tout comme le soutien spécialisés des réseaux d'ONG engagées dans cette lutte. Ont notamment participé la Coordination féminine, le Réseau des femmes en faveur de l'équité et de l'égalité (Amupei), ainsi que d'autres réseaux déjà constitués disposant de l'expérience et des ressources financières requises pour soutenir de telles actions.
  • Les plans d'action politiques doivent se garder d'être pompeux ou impossibles à appliquer. Ils doivent être concrets, clairs, conviviaux et accessibles afin de convaincre les responsables de la prise de décision politique, parfois réticents à l'idée d’accepter les revendications des femmes en faveur de l'égalité. C'est une mentalité pragmatique, réaliste et non "maximaliste" qui a prévalu tout le long de ce processus et permis son aboutissement.
  • Il est essentiel de trouver des alliés et des relais (femmes et hommes) dans différents blocs politiques et dans les médias.

iKNOW Politics : Quel souvenir aimeriez-vous laisser ? Quel héritage souhaiteriez-vous laisser derrière vous, tout particulièrement du point de vue de la promotion de la participation politique des femmes?

Je fais partie d'une génération de femmes ayant innové et participé de façon marquante à l'instauration de la démocratie et à son renforcement grâce à l'inclusion des femmes. Ce faisant, j'ai commis des erreurs, rencontré le succès et, de façon générale, agi de bonne foi, sans jamais pactiser avec les pratiques autoritaires ou malhonnêtes tant prisées par les milieux politiques.

Bien que l'héritage législatif auquel j'ai activement pris part ne soit toutefois pas toujours estimé ou reconnu comme il se devrait, je suis particulièrement fière de certaines lois et procédures ayant exigé créativité et dévouement. Il s'agit, entre autres, des lois sur les municipalités, le dialogue national, les partis politiques, les repas dans les établissements scolaires et les institutions, ainsi que la promotion de l'agriculture locale. Dans tous ces exemples, l'objectif direct et indirect était d'améliorer les conditions de vie des femmes vivant dans les zones rurales et urbaines.

Je souhaite que l'on se souvienne de moi en tant que fondatrice du Centre Gregoria Apaza pour la promotion des femmes (qui fêtera l'année prochaine son 30e anniversaire et est reconnu à l'échelle locale, nationale et internationale), ainsi qu'en tant que défenseur de la Coordination féminine et du Forum politique des femmes, qui ont jadis joué un rôle important dans la définition des objectifs désormais atteints.

Un cycle de militantisme politique est arrivé à son terme, mais j'espère que d'aucuns verront que je continue à m'impliquer en tentant de transmettre mon expérience à la nouvelle génération de dirigeantes. Je m'efforce de me réinventer en tant que personne et je suis ouverte aux nouvelles réalités et aux nouveaux défis, ce qui exige de faire l'effort de ne pas se réfugier dans la nostalgie et le passé.

Modestie mise à part, j'aimerais que l'on garde de moi le souvenir de quelqu'un qui ne connaît pas la signification du mot "retraite" lorsqu'il s'agit de défendre activement les causes justes et démocratiques qui continuent à nous inspirer.

 

 

Date de l'entretien
Ancienne membre du parlement bolivien (1997-2005), spécialiste de la démocratie et des questions sur le genre
Nom
Erika Brockmann

iKNOW Politics : J'aimerais commencer par vous demander de nous parler de votre carrière politique. Quand a-t-elle débuté et qu'est-ce qui vous a incitée à vous lancer ? Quelles ont été les opportunités et les difficultés que vous avez rencontrées sur votre parcours de femme politique?

Dès le lycée et mon premier diplôme de psychologie, j'ai eu l'occasion d'assumer des responsabilités telles que déléguée de classe et représentante des étudiants. J'ai également participé à la série de conférences préparatoires de l'Année internationale de la femme, ainsi qu'à d'autres activités en lien avec la représentation publique et les arts plastiques.

Toutefois, ce sont les limites auxquelles se heurtent les femmes qui vivent, comme à Cochabamba, dans une société majoritairement conservatrice et machiste qui m'ont incitée à chercher des réponses expliquant la discrimination, parfois ténue, parfois grossière, que je subissais dans ma vie personnelle. Telle était ma réalité, en dépit du fait que j'ai grandi dans une famille plutôt libérale, chapeautée par ma grand-mère maternelle, une femme d'affaires visionnaire au fort charisme. C'est ainsi que tout a commencé.

J'ai bien sûr donné sens à ce premier questionnement en puisant dans les écrits de Simone de Beauvoir et dans le poème intitulé : "Nacer Hombre" (Naître homme) d'Adela Zamudio, ainsi que dans la reconnaissance des droits civils et politiques des femmes.

En outre, en tant qu'étudiante d'échange au Canada, j'ai été exposée à la deuxième vague de féminisme et aux mouvements politiques ayant marqué ma génération à l'époque. Telles sont les graines qui m'ont ensuite incitée à me joindre aux mouvements et aux actions collectives de libération de la femme. Il était particulièrement difficile, à l'époque, d'échapper à l'influence d'une génération extrêmement politisée, vivant dans le contexte de la Guerre froide, d'un débat idéologique inspiré par les mouvements de jeunes libertaires et anticolonialistes, ainsi qu'à la théologie de la libération, qui frappait à la porte de l'Eglise catholique.

J'ai commencé l'université sous la dictature et, dès les tous débuts, j'ai compté au nombre de celles qui ont pris la tête d'un mouvement destiné à rendre son autonomie à l'université en contestant l'autorité des militaires. C'est là que j'ai noué mes premiers contacts politiques sous le manteau.

En tant qu'étudiante en psychologie, je travaillais dans un centre qui recevait des enfants et des adolescents "différents" (comme on dit aujourd'hui), non seulement pour des raisons génétiques, mais surtout à cause de traumatismes neurologiques intervenus avant ou après la naissance du fait de la misère et de l'accès défaillant aux services de santé maternelle et infantile. La tragédie de ces familles m'a profondément touchée.

C'est alors que j'ai pris conscience du caractère fragmentaire de l'action des bénévoles et compris l'importance des politiques publiques en tant qu'élément fondamental de la théorie et de l'action politiques. La politique est le moyen permettant d'agir et d'influer sur les problèmes socioéconomiques qui sont à l'origine des troubles sociaux qui accompagnent la misère et les inégalités qui continuent à sévir dans nos pays.

A l'époque, j'ai pris la décision de rejoindre le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), le parti proche de la social-démocratie, au sein duquel le Front des femmes a commencé à lancer une réflexion politique et idéologique qui a mis la participation politique des femmes à l'ordre du jour à l'intérieur et à l'extérieur du parti. Cette dynamique de réflexion et d'analyse de la condition de la femme vue sous un nouvel angle s'est développée en parallèle de la lutte pour rétablir la démocratie.

J'estime appartenir à la génération ayant rendue possible la reconquête de la démocratie, qui fêtera bientôt 30 années de règne ininterrompu. Cette démocratie, avec ses moments fastes et moins fastes, explique d'une part l'écroulement du système des partis (y compris le mien) et, de l'autre, les progrès enregistrés au cours de cette nouvelle ère de réformes publiques ayant contribué à l'inclusion politique de secteurs auparavant marginalisés.

Pour ce qui est des obstacles, je ne souhaite pas m'étendre sur les facteurs couramment invoqués dans les réponses à ce type de question. Je me contenterai d'en évoquer quelques-uns. Il s'agit notamment du conflit avec le rôle traditionnellement dévolu aux femmes et les attentes qu'il suscite, des dilemmes existentiels, de la peur du "succès" et des ouvertures qui m'auraient permis d'accéder à un nouvel horizon, souhaité et craint à la fois.

L'arrivée des femmes sur la scène politique a par ailleurs coïncidé avec le discrédit généralisé dont a souffert l'activité politique, tant dans la vie pratique que comme carrière professionnelle, ce qui a constitué une limite supplémentaire. Cette remise en cause, fruit du communautarisme et du collectivisme participatif, est l'impulsion qui a fini par cimenter la démocratie représentative.

La nature patriarcale et la logique "machiste" régnant dans la course à des postes politiques informels et peu institutionnalisés, insérés dans une culture politique profondément marquée par l'autoritarisme et le manichéisme des mentalités, que les hommes tentent de décrocher par le biais du caudillismo et du renvoi d'ascenseur à grande échelle, constituent autant de facteurs limitant l'expression de potentiels politiques différents. Les limites financières qui prévalent lors des élections internes et des campagnes électorales placent les femmes dans une position particulièrement délicate.

Nous devons cependant avoir conscience du fait que les erreurs et les hésitations se paient au prix fort et que l'exigence d'une "fidélité" absolue a des retombées bien précises sur les femmes impliquées dans la vie politique. Dans un contexte de polarisation politique, les femmes sont sommées de donner la preuve de leur fidélité en jouant des rôles "disciplinaires" parfois autoritaires et peu propices à la réflexion ni à la transformation.

Je résumerai les opportunités dans la réponse à la question suivante.

iKNOW Politics : Ces dernières années, les changements positifs qui se sont instaurés en Bolivie en matière d'égalité des sexes ont créé d'importants précédents à l'échelon international. Pourriez-vous nous dire quels ont été les facteurs qui ont le plus contribué à rendre ces changements possibles, tout particulièrement en ce qui concerne la participation politique des femmes?

En Bolivie et dans la région, la situation a évolué entre 1970 et le milieu des années 90, ce qui a rendu possibles les transformations et la défense de la cause des femmes. L'intégration, dans la nouvelle constitution et la législation fondamentale qui en a résulté, de dispositions en faveur des femmes en constitue l'expression la plus poussée.

Ces réalisations, qui se sont concrétisées sur la toile de fond du progrès démocratique, sont le fruit de la pression appliquée par des forces qui ont servi de catalyseur dans différents domaines. Je pense, d'une part, aux milieux universitaires, dont l'apport s'est situé au niveau de la réflexion théorique sur des thèmes féministes, ainsi qu'aux pressions que n'a cessé d'exercer la communauté internationale pour que les institutions non-gouvernementales du monde entier, puis les gouvernements, cèdent à un certain nombre de revendications.

Ces forces de progrès ont été le fruit du militantisme des femmes elles-mêmes qui (sous différents angles tactiques et stratégiques) ont réussi à élaborer et faire évoluer un programme de réformes qui a mûri et s'est transformé au fil de ces 15 dernières années. Progressivement, cet accord initial s'est fortifié et étendu grâce à l'émergence, à la prise de responsabilités et à l'engagement de dirigeantes d'organisations sociales populaires et d'organismes campesinos autochtones, qui ont joué un rôle actif dans les réformes politiques et économiques en cours.

iKNOW Politics : La notion de parité en politique reste marginale en Amérique latine. Vous avez beaucoup étudié cette question. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la parité est si importante et quelles sont les principales différences entre la parité et les autres mesures de discrimination positive telles que les quotas?

L'expérience de la Bolivie est surprenante car la législation électorale a enregistré des avancées remarquables entre 1997 et 2010, période au cours de laquelle (comme je l'expliquerai dans ma réponse à la question suivante) le principe de la parité lors de l'élection de représentants élus ne s'est pas seulement fermement enraciné, mais aussi étendu à d'autres pans de l'activité politique.

Honorer l'importance du principe de la parité et de l'équilibre exige de reconnaître l'injustice historique au nom de laquelle les femmes ont été exclues du processus constitutionnel de l'Etat bolivien et marginalisées, ainsi que d'y remédier. Les femmes, qui ont répondu présent et participé aux luttes d'indépendance et aux autres moments clés tels que la Révolution nationale et la conquête de la démocratie, ont été les grandes absentes du processus de réorganisation et de reconquête de légitimité de l'Etat bolivien. Cette exclusion des femmes lors de la formation des états moderne, en place depuis la Révolution française, trahit les principes de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, ainsi que l'universalité des droits civiques qui ont fait leur apparition à la fin du 19e siècle.

Curieusement, la reconnaissance et l'adoption de ce principe fondamental en ont fait une valeur collective de la société bolivienne. La stratégie mise en œuvre pour légitimer la parité a détourné les arguments de ceux qui s'opposaient à l'instauration de quotas minimum en arguant du fait qu'il était injuste d'appliquer des quotas minimum de 30% de femmes alors que ces dernières représentent 50% de la population.

Sur le plan théorique, la portée et les conséquences pratiques qu'entraîne la parité du point de vue de l'organisation et de la redistribution du pouvoir public interdisent de reléguer cette dernière au rang de politique de discrimination positive reposant sur des quotas minimum de participation. Ces quotas ne constituent que des mesures provisoires visant à redresser certains déséquilibres ou certaines inégalités des chances dans l'exercice de divers droits garantis par la loi.

La parité est toutefois conçue comme un principe indispensable pour garantir le plein exercice des droits politiques, entre autres, reconnus par la constitution et la législation. Du point de vue de la procédure électorale, les quotas se heurtent à des limites contraignantes sur le plan opérationnel, qui rendent difficile l'obtention des résultats escomptés. Ce sont les modes de scrutin directs et à la proportionnelle mixte qui posent le plus de difficultés. Dans le cas de la Bolivie, la réforme électorale mise en œuvre simultanément à l'application de quotas minimum en a appauvri les effets en instaurant l'élection au scrutin direct pour plus de la moitié des représentants du pouvoir législatif et en privilégiant ce mode de scrutin.

Entre 1997 et 2002, l'évaluation des fruits portés par les quotas minimum nous a convaincues que, si nous voulions accélérer la participation concrète des femmes, nous devions viser la parité et l'alternance. La première loi instaurant la parité, qui a ouvert le système de représentation aux organisations politiques autres que les partis, a été adoptée après la réforme constitutionnelle de février 2004 (simultanément à l'adoption de la loi sur les groupements de citoyens et les populations autochtones).

La parité est une réalisation que le mouvement des femmes s'est de tout temps fixé comme objectif d'intégrer dans son programme de réformes politiques et électorales. Toutefois, même dans le cadre de la parité, il est difficile de garantir que le résultat des urnes permettra à 50% de femmes d'occuper les sièges de titulaires. Le calcul des cinquante pour cent tient compte des sièges de suppléants et de remplaçants, postes officiellement reconnus par la législation bolivienne et auxquels les femmes ont plus facilement accès dans le cadre du mode de scrutin uninominal direct.

iKNOW Politics : Restons sur le sujet de la parité. La Bolivie est l'un des rares pays en ayant fait une obligation légale. Dans quelle mesure la parité est-elle garantie par la loi et quelles sont les sanctions prévues par la législation en cas d'atteinte à ce principe?

Depuis l'Assemblée constituante de 2006, le principe de la parité a gagné du terrain et acquis une légitimité sociale et politique croissante. De ce fait, le nouveau texte de la constitution et les lois organiques adoptées jettent les bases de l'Etat plurinational et des autonomies, qui doivent également respecter le principe de la parité dans leurs quatre pouvoirs et à leurs divers échelons sous-nationaux.

Voici un historique de l'application de ce principe et de sa portée :

2006 : Loi spéciale n° 3364, en date du 6 mars 2006, convoquant l'Assemblée constituante. Elle précisait que la désignation des représentants siégeant à l'Assemblée constituante devait respecter le principe de l'alternance tant sur les listes (ouvertes) uninominales que les listes (fermées) plurinominales.

2009 : Approbation de la Constitution nationale par le référendum constitutionnel de ratification en date du 7 février 2009. Le chapitre traitant des droits politiques prévoit que : "Tous les citoyens, hommes ou femmes, ont le droit de participer librement à la formation, à l'exercice et à la supervision du pouvoir politique, individuellement ou collectivement, que ce soit directement ou par le biais de leurs représentants." La participation des hommes et des femmes doit être égale ou se dérouler dans des conditions d'égalité. En ce qui concerne l'élection des représentants de l'organe législatif, la Constitution déclare que "la participation égale des hommes et des femmes doit être garantie".

2009 : Loi électorale provisoire n° 4021 en date du 14 avril 2009. Elle précise que la participation des citoyens doit être équitable et se dérouler dans des conditions assurant l'égalité entre hommes et femmes. A l'article 9, elle établit que : "les listes de candidats aux postes de sénateur, député et suppléant, membre d'une assemblée régionale, conseiller régional, conseiller municipal et responsable municipal doivent être attribués dans le respect du principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes, qui veut que toute candidature masculine à un poste de titulaire soit suivie par une candidature féminine à un poste de titulaire et tout candidature masculine à un poste de suppléant suivi par une candidature féminine à un poste de suppléant, ou vice versa. Pour les fonctions n'exigeant qu'un seul élu, le principe de l'alternance sera appliqué aux postes de titulaire et suppléant à l'intérieur de chaque circonscription."

2009 : Conformément à la Constitution, la parité s'applique depuis janvier 2010 au cabinet ministériel, le président étant chargé de désigner les ministres.”

2010 : Les lois qui structurent la fonction judiciaire et électorale fixent le principe de la parité en nombre. Le principe de la parité et de l'égalité des chances entre hommes et femmes dans l'exercice de leurs droits individuels et collectifs prévaut.

La loi électorale fait explicitement référence à la politique électorale en faveur de la parité et de l'alternance, dans les termes suivants : "Elle consiste en l'application obligatoire, par le biais de normes et de procédures, de la parité et de l'alternance à l'élection et à la désignation de toutes les autorités et représentants gouvernementaux ; aux élections et aux listes de candidats internes aux partis ; à l'élection, la désignation et la nomination des autorités, candidats et représentants des peuples et nations autochtones.

Le chapitre de la loi sur le système judiciaire qui porte sur les candidatures et la présélection des candidats à des postes dans les plus hautes instances judiciaires affirme : "L'Assemblée législative plurinationale présélectionnera les candidats par un vote à la majorité des deux tiers des membres présents, à hauteur de cinquante-quatre personnes jugées compétentes par circonscription pour la Cour suprême de justice et de vingt-huit pour la Cour chargée des questions agricoles et d'environnement. Dans les deux cas, la moitié des candidats présélectionnés devront être des femmes et la liste des personnes retenues doit être soumise aux instances électorales plurinationales. Dans les deux cas, la pluriculturalité et la parité seront respectées."

Dans toutes les désignations de membres et de juges, la parité et la pluralité seront garanties.

La loi-cadre sur les autonomies et la décentralisation définit le cadre juridique dans lequel se placent les gouvernements régionaux des autonomies. Comme l'exige la politique en faveur de la parité, elle demande à ce que les règles appliquées à l'échelle régionale et les lois organiques des autonomies municipales respectent les principes constitutionnels et à ce que le système électoral facilite l'application du principe de la parité.

Les modes de scrutin adoptés à l'échelle régionale sont en général des scrutins uninominaux directs, ce qui fait diminuer les chances des femmes d'accéder aux sièges de titulaire.

Voici des chiffres qui décrivent la situation de la Bolivie en matière de parité :

A l'Assemblée législative : les femmes détiennent 23% des sièges de titulaire à la Chambre des députés, et 44% au Sénat. Dans les assemblées départementales, les femmes détiennent 28% des sièges de titulaire. Ces deux chambres législatives sont à l'heure actuelle présidées par une femme.

Dans les instances électorales : le principe de la parité prévu par la loi est respecté. La présidence de la cour électorale nationale et des neufs cours régionales est majoritairement détenue par des femmes juges électoraux.

Dans les instances judiciaires : le principe de la parité a été respecté. Au Conseil des magistrats, deux des cinq titulaires sont des femmes. A la Cour chargée des questions agricoles et d'environnement, trois des sept magistrats sont des femmes. A la Cour constitutionnelle, quatre des sept magistrats en poste sont des femmes. A la Cour suprême de justice, trois des neuf magistrats sont des femmes et la parité est respectée pour les suppléants aux mêmes postes.

A l'exécutif : Depuis 2010, les femmes ont réussi à certaines occasions à occuper 50% des postes de ministre. Ce pourcentage a récemment fléchi, mais les femmes tiennent notamment le ministère de la communication, celui de la justice, de la planification, de la production, des autonomies, de la transparence et de l'agriculture, qui sont des portefeuilles ministériels importants.

iKNOW Politics : En mai 2012, la loi bolivienne sur le harcèlement et la violence à l'encontre des femmes en politique a enfin été adoptée. Quels sont les aspects les plus importants et les plus positifs de cette loi? Quelles difficultés sa mise en œuvre pose-t-elle?

La loi n° 243 contre le harcèlement et la violence politiques caractérise les délits que constituent les actes de harcèlement et de violence politiques à l'encontre des femmes et les sanctionne. Sont notamment concernés les délits suivants:

  • fournir à des femmes candidates ou titulaires des informations trompeuses ou imprécises entravant l'exercice de leurs fonctions ;
  • invoquer des stéréotypes sexistes pour imposer des tâches sans rapport avec la fonction ;
  • empêcher les femmes élues ou désignées à un poste de titulaire ou suppléant d'assister à des réunions au cours desquelles des décisions importantes seront prises ;
  • divulguer des informations personnelles et privées concernant des femmes candidates, élues ou désignées, dans le but de nuire à leur réputation et de les contraindre à démissionner;
  • faire pression sur des femmes occupant des responsabilités publiques pour qu'elles démissionnent ou les y inciter, ou les contraindre par la force ou par des intimidations à signer des documents et/ou soutenir des décisions allant à l'encontre de leur volonté ou intérêt politique ; exercer à leur encontre une discrimination pour des raisons telles que la grossesse, la langue, la façon de s'habiller, le degré d'instruction ou l'apparence.

La loi contre le harcèlement et la violence politiques prévoit un mécanisme visant à prendre en charge et traiter de telles affaires. Ce mécanisme peut être de nature administrative ou pénale selon la gravité du délit.

  • La procédure administrative prévoit, pour les délits mineurs, graves ou très graves, des sanctions qui vont d'une réprimande à des diminutions de salaire, voire la suspension temporaire des fonctions sans traitement pendant une période pouvant aller jusqu'à 30 jours.
  • A l'échelon pénal, les sanctions prévoient notamment une peine de deux à cinq années de prison dans les cas de harcèlement et de trois à huit ans dans les cas de violence politique (agression physique et psychologique).

De surcroît, cette loi rend les institutions publiques et les organisations politiques et sociales responsables de prévenir et de sanctionner le harcèlement et la violence politiques à l'encontre des femmes répertoriés par la loi.

Nous devrons tenir compte à l'avenir des nombreux enseignements que nous avons tirés de nos 11 années d'expérience de l'application de cette loi, marquées par des avancées et des revers. Nos efforts pour faire avancer la cause politique des femmes se sont en premier lieu heurtés à l'immobilisme que créent la polarisation politique et les prises de position personnelles. Nous avons également tiré des leçons des consultations interminables qui étirent en longueur la procédure législative et l'adoption des lois et gaspillent l'énergie que nous aurions pu consacrer à faire accepter la loi et à faire pression pour consolider sa mise en œuvre. C'est la raison pour laquelle nous devons revoir nos stratégies de plaidoyer, en mettant l'accent sur la qualité insuffisante des liens existant entre l'administration publique et le groupe d'institutions lui servant de relai, notamment le pouvoir judiciaire.

iKNOW Politics : La qualité des alliances et des réseaux revêt une grande importance en politique. iKNOW Politics est à la fois un réseau et une ressource pour d'autres réseaux. Quel rôle ces alliances et ces réseaux ont-ils joué dans votre parcours?

Les coalitions ou les alliances ont été, sont et seront un facteur fondamental pour mettre en œuvre une stratégie de plaidoyer efficace. Dans un premier temps, un groupe de femmes a commencé à collaborer avec des responsables politiques de différents horizons, parmi lesquels des parlementaires, des membres de partis politiques et des représentants d'organisations non-gouvernementales (ONG). Cette collaboration s'est instaurée au sein du Forum politique des femmes, grâce au soutien et à la vision des femmes qui se trouvaient à l'époque à la tête du Secrétariat adjoint aux questions de parité à l'échelle nationale et régionale.

Ce réseau a élaboré un plan d'action législatif minimum concerté, qui avait vocation à mettre à l’ordre du jour les réformes juridiques et politiques qui n'étaient pas initialement envisagées ni considérées comme une priorité par le groupe de dirigeants politiques et de fonctionnaires masculins au pouvoir. Ce mouvement, qui a pris de l'ampleur à l'échelle nationale, a gagné en cohésion et en vigueur avant, pendant et après le processus de réformes constitutionnelles ayant mis un terme au cercle vertueux de cette collaboration, dont je considère qu'elle a porté de beaux fruits, même difficiles. Il faudrait faire revivre ce partenariat pour faire face aux nouvelles difficultés qui sont apparues dans la législation.

De ma perspective, et au vu de l'expérience bolivienne, je peux dire que ces alliances et ces réseaux sont indispensables à la réussite des stratégies.

L'importance de l'action collective et l'expérience de la Bolivie m'ont amenée à considérer certains critères comme indispensables à la réussite de ces plans d'action concertés pour les alliances et les réseaux qui les formulent et j'aimerais les résumer ci-dessous.

  • Les coalitions et les alliances ne durent pas toutes longtemps, elles s'épuisent et le cycle se termine. Elles doivent se renouveler en relevant de nouveaux défis.
  • Le pluralisme et le sentiment de fierté collective entourant les accords et les réalisations sont importants. Ils permettent d'éviter la focalisation de l'attention sur une personne et l'appropriation par certaines personnes ou groupes, ce qui empoisonne les relations politiques à l'intérieur des coalitions et réseaux concernés.
  • La cause féminine a été servie par un groupe de dirigeantes convaincues, qui s'est chargé de planifier les négociations, de préparer l'argumentation technique et politique des propositions, de les présenter à la société, ainsi que de concevoir des actions collectives créatives et régulières au cours des différents stades de la procédure.
  • Cette action est à mettre sur le compte d'un groupe minoritaire composée de femmes d'horizons divers. Le rôle joué par les femmes parlementaires et les électrices a été fondamental, tout comme le soutien spécialisés des réseaux d'ONG engagées dans cette lutte. Ont notamment participé la Coordination féminine, le Réseau des femmes en faveur de l'équité et de l'égalité (Amupei), ainsi que d'autres réseaux déjà constitués disposant de l'expérience et des ressources financières requises pour soutenir de telles actions.
  • Les plans d'action politiques doivent se garder d'être pompeux ou impossibles à appliquer. Ils doivent être concrets, clairs, conviviaux et accessibles afin de convaincre les responsables de la prise de décision politique, parfois réticents à l'idée d’accepter les revendications des femmes en faveur de l'égalité. C'est une mentalité pragmatique, réaliste et non "maximaliste" qui a prévalu tout le long de ce processus et permis son aboutissement.
  • Il est essentiel de trouver des alliés et des relais (femmes et hommes) dans différents blocs politiques et dans les médias.

iKNOW Politics : Quel souvenir aimeriez-vous laisser ? Quel héritage souhaiteriez-vous laisser derrière vous, tout particulièrement du point de vue de la promotion de la participation politique des femmes?

Je fais partie d'une génération de femmes ayant innové et participé de façon marquante à l'instauration de la démocratie et à son renforcement grâce à l'inclusion des femmes. Ce faisant, j'ai commis des erreurs, rencontré le succès et, de façon générale, agi de bonne foi, sans jamais pactiser avec les pratiques autoritaires ou malhonnêtes tant prisées par les milieux politiques.

Bien que l'héritage législatif auquel j'ai activement pris part ne soit toutefois pas toujours estimé ou reconnu comme il se devrait, je suis particulièrement fière de certaines lois et procédures ayant exigé créativité et dévouement. Il s'agit, entre autres, des lois sur les municipalités, le dialogue national, les partis politiques, les repas dans les établissements scolaires et les institutions, ainsi que la promotion de l'agriculture locale. Dans tous ces exemples, l'objectif direct et indirect était d'améliorer les conditions de vie des femmes vivant dans les zones rurales et urbaines.

Je souhaite que l'on se souvienne de moi en tant que fondatrice du Centre Gregoria Apaza pour la promotion des femmes (qui fêtera l'année prochaine son 30e anniversaire et est reconnu à l'échelle locale, nationale et internationale), ainsi qu'en tant que défenseur de la Coordination féminine et du Forum politique des femmes, qui ont jadis joué un rôle important dans la définition des objectifs désormais atteints.

Un cycle de militantisme politique est arrivé à son terme, mais j'espère que d'aucuns verront que je continue à m'impliquer en tentant de transmettre mon expérience à la nouvelle génération de dirigeantes. Je m'efforce de me réinventer en tant que personne et je suis ouverte aux nouvelles réalités et aux nouveaux défis, ce qui exige de faire l'effort de ne pas se réfugier dans la nostalgie et le passé.

Modestie mise à part, j'aimerais que l'on garde de moi le souvenir de quelqu'un qui ne connaît pas la signification du mot "retraite" lorsqu'il s'agit de défendre activement les causes justes et démocratiques qui continuent à nous inspirer.

 

 

Date de l'entretien
Ancienne membre du parlement bolivien (1997-2005), spécialiste de la démocratie et des questions sur le genre