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Regina Mundi

Entretiens

Soumis par iKNOW Politics le
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August 16, 2007

Regina Mundi

Entretien avec Regina Mundi, Directrice Générale du groupe Hoseana Enterprises Ltd

"Quand je suis rentrée au Cameroun, je me suis donc sentie obligée de rejoindre le rang des femmes qui, sur le terrain, essayaient déjà d’améliorer la vie des autres femmes. Peu de temps après mon retour, il m’est arrivé quelque chose de tout à fait remarquable." - Regina Mundi

iKNOW Politics: Pouvez-vous donner à nos lectrices et nos lecteurs un petit aperçu de votre trajectoire? Avant de vous lancer dans une carrière politique, qu’aviez-vous fait?

Je suis née en 1943 à Bamenda, dans la Province du Nord-Ouest du Cameroun. Mon père était directeur d’école primaire et ma mère, l’une des huit premières filles de la province à être scolarisées dans le primaire.

iKNOW Politics: Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la politique et avez-vous eu une idole dans ce domaine, quelqu’un qui vous a inspiré?

J’ai eu la chance de faire partie de la troisième fournée d’étudiants africains à faire des études universitaires aux Etats-Unis, dans le cadre du Programme Afrique-Amérique de bourses universitaires. Ce programme avait été lancé par le Président Kennedy. C’est comme cela que j’ai pu faire des études d’économie à Trinity College, qui s’appelle aujourd’hui Trinity University. C’est avec un très grand plaisir que je puis vous signaler au passage que Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des Représentants, et Kathleen Sebelius, Gouverneur du Kansas, sont, elles aussi, d’anciennes élèves de cet établissement. Si je vous parle de mes études secondaires et universitaires c’est parce que les établissements que j’ai fréquentés m’ont formée à l’exercice du pouvoir. Pendant que j’étais à Trinity College, je passais presque tous mes loisirs à aller au Congrès, à Washington. Mes amis m’emmenaient tous voir leurs Représentants et leurs Sénateurs. J’ai même eu l’occasion d’assister à une séance de la Chambre des Représentants depuis la galerie du public, au balcon.

J’ai une fois été reçue par le sénateur Robert Kennedy qui m’a envoyé une lettre signée de sa main. Que j’ai conservée précieusement. Le fait de vivre à Washington dans les années soixante m’a fait comprendre l’importance de la voix du peuple. J’étais arrivée à peine un an après la marche sur Washington organisée par Martin Luther King Jr. et j’y étais pendant les émeutes qu’a connues Chicago en 1968 pendant la Convention nationale du parti démocrate. Il y avait là deux styles fort différents d’exercice du pouvoir : l’un débouchait sur la violence et l’autre sur des réalisations pacifiques et durables.

Quand je suis rentrée au Cameroun, je me suis donc sentie obligée de rejoindre le rang des femmes qui, sur le terrain, essayaient déjà d’améliorer la vie des autres femmes. Peu de temps après mon retour, il m’est arrivé quelque chose de tout à fait remarquable. J’ai par hasard fait la connaissance d’une femme qui était une figure de légende pour moi et mes camarades lorsque nous étions au lycée. Mme Joesepha Mua était l’une des deux premières femmes à siéger à l’Assemblée du Cameroun de l’Ouest. Alors que l’Assemblée était en session un jour, et allait procéder à un vote sur une question tout à fait cruciale, Mme Mua, qui venait tout juste d’accoucher et dont tout le monde pensait qu’elle n’allait donc pas venir, s’était, à la surprise générale, présentée pour voter, ayant confié son nouveau-né à quelqu’un. Son vote a changé le cours de l’histoire de notre pays. A compter du jour où j’ai fait sa connaissance, Mme Mua est devenue pour moi un mentor et une source d’avis et de conseils. Mais je vous reparlerai de cette femme remarquable une autre fois.

iKNOW Politics: Votre famille et vos amis vous ont-ils soutenue lorsque vous avez décidé de faire de la politique?

Sur le terrain, j’avais commencé par être secrétaire de la section féminine de l’Union nationale camerounaise dans mon arrondissement. Mon mari a été tout à fait positif lorsque je lui ai dit que j’allais me présenter aux élections. C’était un homme très doux, qui avait beaucoup d’idées, de telle sorte que nous avons toujours passé beaucoup de temps à parler de mes activités politiques, et il était toujours prêt à me prodiguer des conseils. A l’époque, le Cameroun vivait sous un régime de démocratie à parti unique. Parmi les nombreux objectifs que s’était fixés le parti, c’est ce qui relevait du développement économique qui m’intéressait le plus. Pour moi, c’était là un objectif qu’il fallait réaliser au niveau microéconomique. Des femmes comme Mme Anna Foncha, Mme Veronica Sangbong, et Mme Helen Monju étaient moins éduquées que moi, mais elles étaient en train de faire des choses extraordinaires pour les femmes. En tant que secrétaire auprès de l’une d’entre elles, j’ai donc beaucoup appris.

iKNOW Politics: A quels obstacles vous êtes-vous heurtée dans votre carrière de femme faisant de la politique?

Les dirigeants du parti organisaient des séminaires et des ateliers pour les femmes, consacrés aux activités génératrices de revenus. Nous avons fait pression sur le gouvernement pour qu’il construise des routes allant des fermes jusqu’aux marchés. Les coopératives agricoles (je me souviens que la toute première avait été créée pour acheter et commercialiser de l’huile de palme) ont commencé à être mises en place et bientôt le gouvernement a commencé à aider certains groupes.

L’une de mes collaboratrices les plus proches, Mme Theresa Ngu, (qui est aujourd’hui première adjointe au maire chez nous, mais élue sur les listes du parti d’opposition) et moi nous sommes lancées à corps perdu dans la constitution de groupes inscrits aux registres publics, dont certains se sont depuis transformés en Groupements d’initiative commune.

Aujourd’hui, dans notre province, il y a des centaines de groupes de femmes qui font toutes sortes de choses, de la production de légumes à la transformation des aliments à la gestion de caisses d’épargne et de crédit. En 1983, un décret présidentiel m’a nommée Conseiller pour les affaires sociales et culturelles auprès du Gouverneur de notre province. C’est là un poste de “pouvoir” et j’ai été la première femme à être nommée à un poste de ce type.

Aujourd’hui, il y a des femmes qui occupent des postes de sous-préfet et il y en a même une qui est préfet. C’était là un travail passionnant, qui m’a donné l’occasion de voir quantité de choses que l’on pouvait faire pour les femmes. C’est pourquoi en 1986 je me suis portée candidate au poste de Présidente de la section des femmes, et que j’ai été élue.

En 1985, le parti national avait changé de nom, d’Union nationale camerounaise en Rassemblement démocratique du peuple camerounais. J’ai pu tirer parti de mon poste au cabinet du Gouverneur pour coordonner beaucoup plus d’activités en faveur des femmes.

En 1990, le Cameroun est repassé à un régime pluraliste. J’ai quitté le cabinet du Gouverneur et je me suis consacrée pleinement à la politique. En juin de cette même année Paul Biya, le Président du Cameroun, a annoncé à l’occasion d’une allocution télévisée qu’il “fallait se préparer à la concurrence”. Nombreux étaient ceux qui ne parvenaient pas à y croire, mais nous avions atteint un point de non-retour.

Le Président s’était engagé à faire du Cameroun un pays démocratique. Il était arrivé au pouvoir en 1982 et dans son livre, “le Libéralisme communal”, il avait précisé les grands principes de sa philosophie de la gouvernance : rectitude morale, justice sociale, unité et intégration nationales, et développement économique. J’ai lu cet ouvrage avec grande diligence et j’ai été convaincue de la justesse de ce qui y figure. Je le demeure aujourd’hui encore.

iKNOW Politics: Avez-vous, à un moment quelconque de votre carrière politique, souhaité avoir un meilleur accès à l’information ou à d’autres acteurs politiques par le biais par exemple d’un réseau, et si oui, quels en auraient été les avantages, pour vous?

Tout au long de ma carrière je me suis battue pour qu’on reconnaisse les talents des femmes et pour que les femmes elles-mêmes s’intéressent à la politique. Nous avons organisé des séminaires pour encourager les femmes à participer de manière active à la vie politique, non seulement en exerçant leur droit de vote, mais aussi en adhérant à des partis politiques. Mais parfois la participation ne semble pas déboucher sur une responsabilisation, surtout avec les groupes de femmes. C’est là que les liens avec des femmes d’autres pays peuvent jouer un rôle capital. Nous nous en servons pour échanger des points de vue. En savoir plus sur ce que font les femmes dans d’autres pays, savoir comment elles s’y prennent, ça c’est tout à fait important. Il en est ainsi parce que les dirigeants politiques, au Cameroun par exemple, ne peuvent pas agir seuls. Ils doivent suivre les projets qui ont été approuvés par le parlement. Aucun dirigeant politique ne peut s’adresser à la population et dire qu’il ou elle va construire des routes ou des ponts. Ils peuvent le cas échéant dire comment ils entendent dépenser les micro-crédits qui sont alloués aux parlementaires pour mener à bien des projets communautaires. Mais les électeurs, et les femmes surtout, veulent des résultats rapides. Que faire pour maintenir leur intérêt entre deux élections?

iKNOW Politics: Y a-t-il des obstacles spécifiques qui, à votre avis, empêchent la plupart des femmes de devenir des dirigeants politiques?

Je me souviens qu’il y a quelques années, je siégeais à une commission chargée d’examiner les candidatures aux élections municipales. On n’a pas seulement dû lutter pour faire figurer des femmes sur les listes, mais aussi pour savoir en quelle position les inscrire. Si on mettait les femmes en queue de liste, ce que souhaitaient les hommes, cela voulait dire que s’il fallait partager les sièges disponibles entre plusieurs partis, les femmes se verraient sacrifiées. J’ai réussi à me sortir de situations de ce type avec des hommes tout simplement en restant calme. C’est là une technique que j’ai apprise de feu la mère de ma maman, Elisabeth Muna. Elle n’élevait jamais la voix, elle ne se fâchait jamais, mais elle parvenait toujours à obtenir ce qu’elle voulait.

Cela dit, j’ai encore à me perfectionner dans ce domaine. A l’époque, je tenais un carnet où j’inscrivais systématiquement les noms et les spécialités des femmes de notre province dont j’entendais parler. De telle sorte que chaque fois qu’il fallait trouver quelqu’un avec des compétences particulières, je n’avais plus qu’à sortir mon carnet. D’ailleurs, même des hommes ont commencé à m’appeler en me demandant des noms. Les femmes savent faire des quantités de choses et doivent simplement acquérir plus de confiance en soi. Elles doivent croire en leurs propres capacités plutôt que de se contenter de vivre à l’ombre de leurs maris.

Avez-vous repéré des tendances intéressantes dans le domaine de la participation accrue des femmes à la vie politique de par le monde ? Si oui, dites-nous donc lesquelles (sachant que ces temps derniers des femmes ont été élues aux plus hautes fonctions au Chili, au Libéria, au Salvador, en Lettonie, etc.) Il est effectivement très intéressant d’observer le nombre important de femmes qui dirigent aujourd’hui des pays, et dans la plupart des cas, des pays qui ne sont pas parmi les plus avancés. Bon, l’Allemagne y est parvenue, et la France, presque. Je tiens à féliciter toutes ces femmes. Il me paraît évidemment que d’autres femmes, sur tous les continents, vont rejoindre celles-ci.

Le monde connaîtra-t-il alors la politique du cœur ou la politique de la tête ? Quelle merveille si le cœur pouvait régir le monde. Son Excellence Madame la Présidente du Libéria a ouvert la voie pour les femmes africaines. C’est maintenant à nous de relever le défi. En tout cas, aujourd’hui le Libéria est tranquille et on y vit heureux – nous en sommes enchantées. On dit, dans mon dialecte, qu’une femme n’a jamais trop d’enfants, et certainement jamais assez pour en avoir à sacrifier à la guerre. Pensez-vous que les gens, et plus particulièrement les femmes, aient aujourd’hui un accès suffisant à l’information et pourquoi pensez-vous que cet accès est important ? Et si l’accès à l’information vous paraît insuffisant, que pensez-vous qu’il faille faire pour développer l’accès à l’information et les échanges d’information ? Les femmes vont devoir définir leurs objectifs et se mettre au travail. Une fois leurs objectifs définis, elles devront déterminer qui et quoi pourra les aider à les atteindre, et par quels moyens.

Aujourd’hui, le monde est un petit village. Et l’accès à l’information y est donc très important. Le réseau iKNOW Politics est très bon. Il comporte quantité d’aspects différents et à mesure que l’on s’en sert, on comprend mieux quelles sont les fonctionnalités qui vous correspondent le mieux. Le temps est révolu où une femme pouvait se perdre dans son coin. Il est indispensable, aujourd’hui, d’entrer en interaction avec d’autres. Depuis que je me sers du réseau iKNOW Politics – et ça ne fait pas longtemps - je me sens toute vide et tout à coup impressionnée par ce qui se dessine devant moi, et qui appelle à l’action. Les femmes camerounaises qui font de la politique doivent prendre le temps d’apprendre à se servir d’internet. C’est INDISPENSABLE.

 

 

 

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Entretien avec Regina Mundi, Directrice Générale du groupe Hoseana Enterprises Ltd

"Quand je suis rentrée au Cameroun, je me suis donc sentie obligée de rejoindre le rang des femmes qui, sur le terrain, essayaient déjà d’améliorer la vie des autres femmes. Peu de temps après mon retour, il m’est arrivé quelque chose de tout à fait remarquable." - Regina Mundi

iKNOW Politics: Pouvez-vous donner à nos lectrices et nos lecteurs un petit aperçu de votre trajectoire? Avant de vous lancer dans une carrière politique, qu’aviez-vous fait?

Je suis née en 1943 à Bamenda, dans la Province du Nord-Ouest du Cameroun. Mon père était directeur d’école primaire et ma mère, l’une des huit premières filles de la province à être scolarisées dans le primaire.

iKNOW Politics: Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la politique et avez-vous eu une idole dans ce domaine, quelqu’un qui vous a inspiré?

J’ai eu la chance de faire partie de la troisième fournée d’étudiants africains à faire des études universitaires aux Etats-Unis, dans le cadre du Programme Afrique-Amérique de bourses universitaires. Ce programme avait été lancé par le Président Kennedy. C’est comme cela que j’ai pu faire des études d’économie à Trinity College, qui s’appelle aujourd’hui Trinity University. C’est avec un très grand plaisir que je puis vous signaler au passage que Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des Représentants, et Kathleen Sebelius, Gouverneur du Kansas, sont, elles aussi, d’anciennes élèves de cet établissement. Si je vous parle de mes études secondaires et universitaires c’est parce que les établissements que j’ai fréquentés m’ont formée à l’exercice du pouvoir. Pendant que j’étais à Trinity College, je passais presque tous mes loisirs à aller au Congrès, à Washington. Mes amis m’emmenaient tous voir leurs Représentants et leurs Sénateurs. J’ai même eu l’occasion d’assister à une séance de la Chambre des Représentants depuis la galerie du public, au balcon.

J’ai une fois été reçue par le sénateur Robert Kennedy qui m’a envoyé une lettre signée de sa main. Que j’ai conservée précieusement. Le fait de vivre à Washington dans les années soixante m’a fait comprendre l’importance de la voix du peuple. J’étais arrivée à peine un an après la marche sur Washington organisée par Martin Luther King Jr. et j’y étais pendant les émeutes qu’a connues Chicago en 1968 pendant la Convention nationale du parti démocrate. Il y avait là deux styles fort différents d’exercice du pouvoir : l’un débouchait sur la violence et l’autre sur des réalisations pacifiques et durables.

Quand je suis rentrée au Cameroun, je me suis donc sentie obligée de rejoindre le rang des femmes qui, sur le terrain, essayaient déjà d’améliorer la vie des autres femmes. Peu de temps après mon retour, il m’est arrivé quelque chose de tout à fait remarquable. J’ai par hasard fait la connaissance d’une femme qui était une figure de légende pour moi et mes camarades lorsque nous étions au lycée. Mme Joesepha Mua était l’une des deux premières femmes à siéger à l’Assemblée du Cameroun de l’Ouest. Alors que l’Assemblée était en session un jour, et allait procéder à un vote sur une question tout à fait cruciale, Mme Mua, qui venait tout juste d’accoucher et dont tout le monde pensait qu’elle n’allait donc pas venir, s’était, à la surprise générale, présentée pour voter, ayant confié son nouveau-né à quelqu’un. Son vote a changé le cours de l’histoire de notre pays. A compter du jour où j’ai fait sa connaissance, Mme Mua est devenue pour moi un mentor et une source d’avis et de conseils. Mais je vous reparlerai de cette femme remarquable une autre fois.

iKNOW Politics: Votre famille et vos amis vous ont-ils soutenue lorsque vous avez décidé de faire de la politique?

Sur le terrain, j’avais commencé par être secrétaire de la section féminine de l’Union nationale camerounaise dans mon arrondissement. Mon mari a été tout à fait positif lorsque je lui ai dit que j’allais me présenter aux élections. C’était un homme très doux, qui avait beaucoup d’idées, de telle sorte que nous avons toujours passé beaucoup de temps à parler de mes activités politiques, et il était toujours prêt à me prodiguer des conseils. A l’époque, le Cameroun vivait sous un régime de démocratie à parti unique. Parmi les nombreux objectifs que s’était fixés le parti, c’est ce qui relevait du développement économique qui m’intéressait le plus. Pour moi, c’était là un objectif qu’il fallait réaliser au niveau microéconomique. Des femmes comme Mme Anna Foncha, Mme Veronica Sangbong, et Mme Helen Monju étaient moins éduquées que moi, mais elles étaient en train de faire des choses extraordinaires pour les femmes. En tant que secrétaire auprès de l’une d’entre elles, j’ai donc beaucoup appris.

iKNOW Politics: A quels obstacles vous êtes-vous heurtée dans votre carrière de femme faisant de la politique?

Les dirigeants du parti organisaient des séminaires et des ateliers pour les femmes, consacrés aux activités génératrices de revenus. Nous avons fait pression sur le gouvernement pour qu’il construise des routes allant des fermes jusqu’aux marchés. Les coopératives agricoles (je me souviens que la toute première avait été créée pour acheter et commercialiser de l’huile de palme) ont commencé à être mises en place et bientôt le gouvernement a commencé à aider certains groupes.

L’une de mes collaboratrices les plus proches, Mme Theresa Ngu, (qui est aujourd’hui première adjointe au maire chez nous, mais élue sur les listes du parti d’opposition) et moi nous sommes lancées à corps perdu dans la constitution de groupes inscrits aux registres publics, dont certains se sont depuis transformés en Groupements d’initiative commune.

Aujourd’hui, dans notre province, il y a des centaines de groupes de femmes qui font toutes sortes de choses, de la production de légumes à la transformation des aliments à la gestion de caisses d’épargne et de crédit. En 1983, un décret présidentiel m’a nommée Conseiller pour les affaires sociales et culturelles auprès du Gouverneur de notre province. C’est là un poste de “pouvoir” et j’ai été la première femme à être nommée à un poste de ce type.

Aujourd’hui, il y a des femmes qui occupent des postes de sous-préfet et il y en a même une qui est préfet. C’était là un travail passionnant, qui m’a donné l’occasion de voir quantité de choses que l’on pouvait faire pour les femmes. C’est pourquoi en 1986 je me suis portée candidate au poste de Présidente de la section des femmes, et que j’ai été élue.

En 1985, le parti national avait changé de nom, d’Union nationale camerounaise en Rassemblement démocratique du peuple camerounais. J’ai pu tirer parti de mon poste au cabinet du Gouverneur pour coordonner beaucoup plus d’activités en faveur des femmes.

En 1990, le Cameroun est repassé à un régime pluraliste. J’ai quitté le cabinet du Gouverneur et je me suis consacrée pleinement à la politique. En juin de cette même année Paul Biya, le Président du Cameroun, a annoncé à l’occasion d’une allocution télévisée qu’il “fallait se préparer à la concurrence”. Nombreux étaient ceux qui ne parvenaient pas à y croire, mais nous avions atteint un point de non-retour.

Le Président s’était engagé à faire du Cameroun un pays démocratique. Il était arrivé au pouvoir en 1982 et dans son livre, “le Libéralisme communal”, il avait précisé les grands principes de sa philosophie de la gouvernance : rectitude morale, justice sociale, unité et intégration nationales, et développement économique. J’ai lu cet ouvrage avec grande diligence et j’ai été convaincue de la justesse de ce qui y figure. Je le demeure aujourd’hui encore.

iKNOW Politics: Avez-vous, à un moment quelconque de votre carrière politique, souhaité avoir un meilleur accès à l’information ou à d’autres acteurs politiques par le biais par exemple d’un réseau, et si oui, quels en auraient été les avantages, pour vous?

Tout au long de ma carrière je me suis battue pour qu’on reconnaisse les talents des femmes et pour que les femmes elles-mêmes s’intéressent à la politique. Nous avons organisé des séminaires pour encourager les femmes à participer de manière active à la vie politique, non seulement en exerçant leur droit de vote, mais aussi en adhérant à des partis politiques. Mais parfois la participation ne semble pas déboucher sur une responsabilisation, surtout avec les groupes de femmes. C’est là que les liens avec des femmes d’autres pays peuvent jouer un rôle capital. Nous nous en servons pour échanger des points de vue. En savoir plus sur ce que font les femmes dans d’autres pays, savoir comment elles s’y prennent, ça c’est tout à fait important. Il en est ainsi parce que les dirigeants politiques, au Cameroun par exemple, ne peuvent pas agir seuls. Ils doivent suivre les projets qui ont été approuvés par le parlement. Aucun dirigeant politique ne peut s’adresser à la population et dire qu’il ou elle va construire des routes ou des ponts. Ils peuvent le cas échéant dire comment ils entendent dépenser les micro-crédits qui sont alloués aux parlementaires pour mener à bien des projets communautaires. Mais les électeurs, et les femmes surtout, veulent des résultats rapides. Que faire pour maintenir leur intérêt entre deux élections?

iKNOW Politics: Y a-t-il des obstacles spécifiques qui, à votre avis, empêchent la plupart des femmes de devenir des dirigeants politiques?

Je me souviens qu’il y a quelques années, je siégeais à une commission chargée d’examiner les candidatures aux élections municipales. On n’a pas seulement dû lutter pour faire figurer des femmes sur les listes, mais aussi pour savoir en quelle position les inscrire. Si on mettait les femmes en queue de liste, ce que souhaitaient les hommes, cela voulait dire que s’il fallait partager les sièges disponibles entre plusieurs partis, les femmes se verraient sacrifiées. J’ai réussi à me sortir de situations de ce type avec des hommes tout simplement en restant calme. C’est là une technique que j’ai apprise de feu la mère de ma maman, Elisabeth Muna. Elle n’élevait jamais la voix, elle ne se fâchait jamais, mais elle parvenait toujours à obtenir ce qu’elle voulait.

Cela dit, j’ai encore à me perfectionner dans ce domaine. A l’époque, je tenais un carnet où j’inscrivais systématiquement les noms et les spécialités des femmes de notre province dont j’entendais parler. De telle sorte que chaque fois qu’il fallait trouver quelqu’un avec des compétences particulières, je n’avais plus qu’à sortir mon carnet. D’ailleurs, même des hommes ont commencé à m’appeler en me demandant des noms. Les femmes savent faire des quantités de choses et doivent simplement acquérir plus de confiance en soi. Elles doivent croire en leurs propres capacités plutôt que de se contenter de vivre à l’ombre de leurs maris.

Avez-vous repéré des tendances intéressantes dans le domaine de la participation accrue des femmes à la vie politique de par le monde ? Si oui, dites-nous donc lesquelles (sachant que ces temps derniers des femmes ont été élues aux plus hautes fonctions au Chili, au Libéria, au Salvador, en Lettonie, etc.) Il est effectivement très intéressant d’observer le nombre important de femmes qui dirigent aujourd’hui des pays, et dans la plupart des cas, des pays qui ne sont pas parmi les plus avancés. Bon, l’Allemagne y est parvenue, et la France, presque. Je tiens à féliciter toutes ces femmes. Il me paraît évidemment que d’autres femmes, sur tous les continents, vont rejoindre celles-ci.

Le monde connaîtra-t-il alors la politique du cœur ou la politique de la tête ? Quelle merveille si le cœur pouvait régir le monde. Son Excellence Madame la Présidente du Libéria a ouvert la voie pour les femmes africaines. C’est maintenant à nous de relever le défi. En tout cas, aujourd’hui le Libéria est tranquille et on y vit heureux – nous en sommes enchantées. On dit, dans mon dialecte, qu’une femme n’a jamais trop d’enfants, et certainement jamais assez pour en avoir à sacrifier à la guerre. Pensez-vous que les gens, et plus particulièrement les femmes, aient aujourd’hui un accès suffisant à l’information et pourquoi pensez-vous que cet accès est important ? Et si l’accès à l’information vous paraît insuffisant, que pensez-vous qu’il faille faire pour développer l’accès à l’information et les échanges d’information ? Les femmes vont devoir définir leurs objectifs et se mettre au travail. Une fois leurs objectifs définis, elles devront déterminer qui et quoi pourra les aider à les atteindre, et par quels moyens.

Aujourd’hui, le monde est un petit village. Et l’accès à l’information y est donc très important. Le réseau iKNOW Politics est très bon. Il comporte quantité d’aspects différents et à mesure que l’on s’en sert, on comprend mieux quelles sont les fonctionnalités qui vous correspondent le mieux. Le temps est révolu où une femme pouvait se perdre dans son coin. Il est indispensable, aujourd’hui, d’entrer en interaction avec d’autres. Depuis que je me sers du réseau iKNOW Politics – et ça ne fait pas longtemps - je me sens toute vide et tout à coup impressionnée par ce qui se dessine devant moi, et qui appelle à l’action. Les femmes camerounaises qui font de la politique doivent prendre le temps d’apprendre à se servir d’internet. C’est INDISPENSABLE.

 

 

 

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Entretien avec Regina Mundi, Directrice Générale du groupe Hoseana Enterprises Ltd