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En marche vers un nouveau féminisme politique

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En marche vers un nouveau féminisme politique

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Par Angeline Montoya

Les Françaises sont appelées à cesser de travailler, lundi 7 novembre, à 16 h 34 précises, pour protester contre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Plus de trente ans après, cette phrase attribuée à Simone de Beauvoir résonne d’une actualité inquiétante.

Mais face à la résurgence de conservatismes rétrogrades, du sexisme de Donald Trump aux tentatives d’interdire totalement l’avortement en Pologne, les femmes descendent dans la rue : contre la violence machiste en Amérique latine, pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) à Varsovie, contre les discriminations salariales en Islande, contre la « culture du viol » à Montréal… C’est aussi le cas en Israël, pour demander la résolution du conflit au Proche-Orient, ou au Venezuela, pour exiger le départ du président Nicolas Maduro.

Les manifestations survenues en octobre, massives et sur plusieurs continents, interpellent. A leur tour, les Françaises sont appelées à cesser de travailler, lundi 7 novembre, à 16 h 34 précises pour protester contre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

D’autres causes

Ces mobilisations ne concernent pas toujours les droits des femmes. Les Mères de la place de Mai en Argentine se battent depuis 1977 pour retrouver leurs enfants enlevés pendant la dictature ; les mères de soldats russes, pour le respect des droits de l’homme au sein de l’armée… « En se présentant comme mères, comme sœurs, elles touchent plus facilement les opinions, décrypte Valérie Pouzol, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Paris-VIII. Et si les femmes qui sont descendues dans la rue au Venezuela ou en Israël ne se définissent pas comme féministes, cette expérience de devenir actrices à part entière est profondément féministe et peut les transformer. »

Les femmes, ce « continent noir » évoqué dans l’hymne du Mouvement de libération des femmes (MLF), seraient-elles en train de devenir une catégorie politique avec laquelle il faudra désormais – et enfin – composer ? La prix Nobel de la paix (2011) Leymah Gbowee, qui a mobilisé des milliers de Libériennes au début des années 2000 pour mettre un terme à la guerre civile, en est convaincue : « Si vous défendez ce en quoi vous croyez, même les hommes en armes auront peur de vous », a-t-elle déclaré à Jérusalem le 19 octobre, où elle participait à une marche de femmes pour la paix.

De plus en plus, les attaques contre les droits des femmes ont un coût politique. Donald Trump en fait l’expérience, avec une dégringolade dans les sondages après ses propos misogynes. En Pologne, les ultra-conservateurs du parti PiS (Droit et Justice) ont dû reculer lorsque des dizaines de milliers de femmes vêtues de noir sont descendues dans la rue, le 3 octobre, pour défendre l’IVG. Idem en 2014, en Espagne, quand un million et demi de personnes ont réussi à faire faire machine arrière au gouvernement de Mariano Rajoy qui prétendait durcir les conditions d’accès à l’avortement.

« Il ne faut pas ignorer le rôle des institutions internationales dans cette montée en puissance des mobilisations des femmes, souligne Valérie Pouzol. En 1995, à Pékin, la Conférence mondiale sur les femmes sous l’égide de l’ONU a marqué un jalon. » En 2000, la Marche mondiale des femmes devenait le fer de lance de la globalisation des différentes luttes féminines.

Dans la foulée de Pékin, les Nations unies votaient plusieurs textes, dont la résolution 1325, qui recommande aux pays en conflit d’intégrer les femmes dans les processus de paix. « Ça a été le cas en Colombie, où les femmes ont joué un rôle crucial dans les négociations entre le gouvernement et la guérilla des FARC,précise la chercheuse. C’est aussi sur cette résolution qu’Israéliennes et Palestiniennes s’appuient pour leurs marches pour la paix. »

Un renouveau des luttes

Loin d’être uniquement formels, ces textes ont donné une légitimité nouvelle aux mouvements de femmes. « Ceux-ci n’apparaissent pas ex nihilo, note Valérie Pouzol, les femmes s’inspirent de la puissance de mobilisation de celles qui les ont précédées. »

Les Argentines, appelées à manifester vêtues de noir contre la violence machiste le 19 octobre, se sont ainsi inspirées des Polonaises. La mobilisation, déclenchée par le viol et le meurtre d’une adolescente, s’est organisée en à peine six jours sur les réseaux sociaux, avec les mots-clés #NiUnaMenos (« pas une [femme] de moins »), ou #VivasNosQueremos (« nous voulons être en vie »). Et elle a débordé les frontières de l’Argentine : vingt-deux villes d’Amérique latine ont manifesté contre le fléau des « féminicides ».

Pour la mobilisation du 7 novembre en France, le collectif Les Glorieuses qui en est à l’origine s’est inspiré des Islandaises, qui ont adopté ce mode d’action le 24 octobre.

« Depuis le début des années 2010, on note un renouveau des luttes pour les droits des femmes, confirme Françoise Picq, historienne du féminisme. Le problème, c’est que cette mobilisation risque de ne pas être pérenne si elle n’est pas suivie de politiques publiques. C’est l’éternelle question sur le devenir des mouvements sociaux, comme Occupy Wall Street ou les “indignés” en Espagne. »

Quelque chose a changé dans la tolérance à l’égard du sexisme. L’opinion publique s’indigne d’événements qui n’offusquaient pas grand monde jusque-là, à part les féministes.

En 2012, le journaliste Jean-François Kahn parlait, au sujet de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, de « troussage de domestique » ; pour Jack Lang, il n’y avait « pas mort d’homme ». Quel homme politique aurait osé la même chose, en 2016, après les accusations de harcèlement sexuel à l’encontre de l’écologiste Denis Baupin ?

Quand on a reproché au député Pierre Lellouche (Les Républicains, Paris) d’avoir minimisé « des histoires de bonne femme », celui-ci s’est empressé de nier avoir tenu ces propos. « Soudain, tout le monde est féministe », ironise Mme Picq. Il était temps.

 

Source: Le Monde

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Par Angeline Montoya

Les Françaises sont appelées à cesser de travailler, lundi 7 novembre, à 16 h 34 précises, pour protester contre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Plus de trente ans après, cette phrase attribuée à Simone de Beauvoir résonne d’une actualité inquiétante.

Mais face à la résurgence de conservatismes rétrogrades, du sexisme de Donald Trump aux tentatives d’interdire totalement l’avortement en Pologne, les femmes descendent dans la rue : contre la violence machiste en Amérique latine, pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) à Varsovie, contre les discriminations salariales en Islande, contre la « culture du viol » à Montréal… C’est aussi le cas en Israël, pour demander la résolution du conflit au Proche-Orient, ou au Venezuela, pour exiger le départ du président Nicolas Maduro.

Les manifestations survenues en octobre, massives et sur plusieurs continents, interpellent. A leur tour, les Françaises sont appelées à cesser de travailler, lundi 7 novembre, à 16 h 34 précises pour protester contre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

D’autres causes

Ces mobilisations ne concernent pas toujours les droits des femmes. Les Mères de la place de Mai en Argentine se battent depuis 1977 pour retrouver leurs enfants enlevés pendant la dictature ; les mères de soldats russes, pour le respect des droits de l’homme au sein de l’armée… « En se présentant comme mères, comme sœurs, elles touchent plus facilement les opinions, décrypte Valérie Pouzol, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Paris-VIII. Et si les femmes qui sont descendues dans la rue au Venezuela ou en Israël ne se définissent pas comme féministes, cette expérience de devenir actrices à part entière est profondément féministe et peut les transformer. »

Les femmes, ce « continent noir » évoqué dans l’hymne du Mouvement de libération des femmes (MLF), seraient-elles en train de devenir une catégorie politique avec laquelle il faudra désormais – et enfin – composer ? La prix Nobel de la paix (2011) Leymah Gbowee, qui a mobilisé des milliers de Libériennes au début des années 2000 pour mettre un terme à la guerre civile, en est convaincue : « Si vous défendez ce en quoi vous croyez, même les hommes en armes auront peur de vous », a-t-elle déclaré à Jérusalem le 19 octobre, où elle participait à une marche de femmes pour la paix.

De plus en plus, les attaques contre les droits des femmes ont un coût politique. Donald Trump en fait l’expérience, avec une dégringolade dans les sondages après ses propos misogynes. En Pologne, les ultra-conservateurs du parti PiS (Droit et Justice) ont dû reculer lorsque des dizaines de milliers de femmes vêtues de noir sont descendues dans la rue, le 3 octobre, pour défendre l’IVG. Idem en 2014, en Espagne, quand un million et demi de personnes ont réussi à faire faire machine arrière au gouvernement de Mariano Rajoy qui prétendait durcir les conditions d’accès à l’avortement.

« Il ne faut pas ignorer le rôle des institutions internationales dans cette montée en puissance des mobilisations des femmes, souligne Valérie Pouzol. En 1995, à Pékin, la Conférence mondiale sur les femmes sous l’égide de l’ONU a marqué un jalon. » En 2000, la Marche mondiale des femmes devenait le fer de lance de la globalisation des différentes luttes féminines.

Dans la foulée de Pékin, les Nations unies votaient plusieurs textes, dont la résolution 1325, qui recommande aux pays en conflit d’intégrer les femmes dans les processus de paix. « Ça a été le cas en Colombie, où les femmes ont joué un rôle crucial dans les négociations entre le gouvernement et la guérilla des FARC,précise la chercheuse. C’est aussi sur cette résolution qu’Israéliennes et Palestiniennes s’appuient pour leurs marches pour la paix. »

Un renouveau des luttes

Loin d’être uniquement formels, ces textes ont donné une légitimité nouvelle aux mouvements de femmes. « Ceux-ci n’apparaissent pas ex nihilo, note Valérie Pouzol, les femmes s’inspirent de la puissance de mobilisation de celles qui les ont précédées. »

Les Argentines, appelées à manifester vêtues de noir contre la violence machiste le 19 octobre, se sont ainsi inspirées des Polonaises. La mobilisation, déclenchée par le viol et le meurtre d’une adolescente, s’est organisée en à peine six jours sur les réseaux sociaux, avec les mots-clés #NiUnaMenos (« pas une [femme] de moins »), ou #VivasNosQueremos (« nous voulons être en vie »). Et elle a débordé les frontières de l’Argentine : vingt-deux villes d’Amérique latine ont manifesté contre le fléau des « féminicides ».

Pour la mobilisation du 7 novembre en France, le collectif Les Glorieuses qui en est à l’origine s’est inspiré des Islandaises, qui ont adopté ce mode d’action le 24 octobre.

« Depuis le début des années 2010, on note un renouveau des luttes pour les droits des femmes, confirme Françoise Picq, historienne du féminisme. Le problème, c’est que cette mobilisation risque de ne pas être pérenne si elle n’est pas suivie de politiques publiques. C’est l’éternelle question sur le devenir des mouvements sociaux, comme Occupy Wall Street ou les “indignés” en Espagne. »

Quelque chose a changé dans la tolérance à l’égard du sexisme. L’opinion publique s’indigne d’événements qui n’offusquaient pas grand monde jusque-là, à part les féministes.

En 2012, le journaliste Jean-François Kahn parlait, au sujet de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, de « troussage de domestique » ; pour Jack Lang, il n’y avait « pas mort d’homme ». Quel homme politique aurait osé la même chose, en 2016, après les accusations de harcèlement sexuel à l’encontre de l’écologiste Denis Baupin ?

Quand on a reproché au député Pierre Lellouche (Les Républicains, Paris) d’avoir minimisé « des histoires de bonne femme », celui-ci s’est empressé de nier avoir tenu ces propos. « Soudain, tout le monde est féministe », ironise Mme Picq. Il était temps.

 

Source: Le Monde

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